Le Devoir, c'est moi - Dans la marmite de la politique

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle parmi les fidèles, qui peuvent y puiser, comme notre lecteur de cette semaine, autant des sources d'information que des sujets de discussion.
La politique, Daniel Crespo est tombé dedans en Bolivie, quand il était petit. Ses parents, «d'anciens trotskistes», luttaient avec ferveur contre les coups d'État et les régimes militaires, tandis qu'à son école primaire, il se souvient avoir eu des «débats politiques entre enfants de 6 ou 7 ans». Quinze ans plus tard, étudiant en Relations internationales et droit international à l'Université du Québec à Montréal, il en parle toujours. De politique, bien sûr, mais aussi de droits de la personne.Quand il évoque sa Bolivie natale, Daniel Crespo a en tête une société «hyperpolitisée», humiliée et exploitée, qui ne s'est pas sortie sans cicatrices de longues années «d'acculturation, d'intériorisation, de différences sociales». L'élection démocratique du premier président d'origine amérindienne, Evo Morales, en 2006, «a été l'aboutissement de toutes les luttes et toutes les humiliations» qu'a vécues la population sous des «gouvernements corrompus, un peu despotes». À écouter ainsi parler le jeune homme de 21 ans, on croirait qu'il vit encore là-bas.
S'il est aussi sensible aux droits de son peuple, c'est en partie parce qu'enfant, Daniel Crespo côtoyait régulièrement les coopérants d'ONG, collègues de son beau-père. «Je partais en mission avec lui et il m'emmenait dans différents coins ruraux de la Bolivie, voir des projets», explique le jeune homme. Né à La Paz, il a donc vécu pendant deux ans au Nicaragua — en raison du travail de son beau-père — avant d'arriver au Québec en 1998, à l'âge de 9 ans. La situation en Bolivie n'étant «pas prometteuse» à cette époque, ses parents ont choisi le Québec, où son beau-père avait déjà étudié, pour repartir à neuf.
Comme Daniel Crespo parlait déjà la langue de Molière à son arrivée au Québec — un héritage de son enfance passée dans un lycée français à La Paz —, le choc culturel a été pratiquement nul. À son école de Côte-des-Neiges, un quartier multiculturel, «il y avait peut-être deux Québécois dans ma classe. Tout le monde avait vécu cette réalité-là, il y avait donc une certaine compréhension des enjeux interculturels, même à l'enfance», se rappelle-t-il.
Désormais tout à fait québécois — il se dit même «souverainiste à 100 %» —, Daniel Crespo n'a toutefois rien perdu de ses origines. À la maison, la langue espagnole et la culture bolivienne sont restées bien vivantes. «On est assez chauvins. On croit à l'importance de préserver cette culture, qui est quand même une richesse», confie le jeune homme.
L'apprivoisement
Déjà soucieuse des enjeux politiques en Bolivie, la famille s'est mise dès son arrivée au courant de la question québécoise. «Une fois ici, au début, on lisait pas mal tout», relate Daniel Crespo. Mais les allégeances politiques de ses parents ont peu à peu fait le tri, et Le Devoir est sorti du lot. «Même en étant un média de diffusion de masse, on peut y trouver du contenu alternatif.»
Sur une table du local de son association étudiante, dont il est aussi président, Daniel Crespo a ouvert à la page Idées Le Devoir du 11 novembre dernier. L'article «Se souvenir de qui, de quoi?», écrit par Francis Dupuis-Déri, professeur à l'UQAM, est à l'origine d'un intense débat sur la guerre qu'il a eu avec ses confrères d'études... à la terrasse d'un bar. Certains éléments du Devoir poussent à la discussion, résume-t-il. C'est dans le courrier des lecteurs, surtout, et parfois des éditoriaux que les étudiants trouvent de tels terrains fertiles.
Cette liberté d'opinion propre au Devoir entretient l'esprit militant de Daniel Crespo. «Le Devoir ne va pas se limiter au simplisme, il va plus nuancer les articles», remarque-t-il. «J'aime bien ce monsieur, lance-t-il en désignant un éditorial de Serge Truffaut. [...] Je ne suis pas tout le temps d'accord avec lui, mais il n'est pas de mauvaise foi. Il lance des pistes de réflexion même s'il défend un point de vue.»
Déjà assistant de recherche pour une professeure de l'École de gestion de l'UQAM — sur le phénomène des travailleurs étrangers temporaires peu qualifiés —, Daniel Crespo aimerait se spécialiser en droit international. La question de l'accès à l'information en Amérique latine le tracasse d'ailleurs particulièrement.
Pour rester informé de ce qui se passe en Bolivie, «où la droite domine tous les médias de masse», il consulte donc Telesur, une chaîne de gauche diffusée sur Internet et lancée en 2005 par le gouvernement vénézuélien d'Hugo Chávez. C'est à ce moment-là qu'il apprécie l'avantage de vivre au Québec. «Ici, on a accès à quelque chose qui s'appelle Le Devoir. On a accès à une tonne de médias alternatifs. Mais là-bas, ça n'existe pas.»