Le Devoir, c'est moi - La religieuse militante qui suivait «l'histoire des humains»

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle parmi les fidèles. Notre fidèle lectrice de cette semaine y trouve pour sa part une source constante de motivation pour s'engager dans la société.
Discuter avec soeur Gisèle Turcot, c'est revivre en accéléré tout un pan de l'histoire du Québec. Redoutablement informée, elle peut citer de mémoire des projets de loi et résumer en dix mots de longs débats sociaux. Avec son parcours de militante et ses idées bien campées, la religieuse continue de suivre «l'histoire des humains» par l'entremise du Devoir, une tradition héritée de sa congrégation.«Quand je raconte ça, j'ai l'impression d'être une grand-mère», blague Gisèle Turcot, en riant de bon coeur. Si elle prend un tel coup de vieux, c'est que la religieuse se rappelle ses 13 ans, âge auquel elle s'est engagée dans la Jeunesse étudiante chrétienne, l'un des «mouvements jeunesse de l'heure» de l'Action catholique dans les années cinquante. «On nous faisait aborder les questions sociales et religieuses avec un programme bien bâti pour lequel j'ai pris beaucoup d'intérêt», se rappelle-t-elle, le qualifiant d'«ouverture à la modernité».
Après avoir enseigné pendant trois ans dans sa région natale, à Valleyfield, soeur Turcot, qui déjà «pensait à la vie religieuse», a choisi d'intégrer une congrégation à vocation sociale plutôt qu'enseignante. Faire son choix n'a pas été difficile: les soeurs de la communauté où elle avait été jeune pensionnaire étaient d'excellentes institutrices, certes, «mais elles étaient conventuelles. Elles se retiraient, marchaient le long des corridors. C'était une autre mentalité, complètement. L'image des Soeurs du Bon-Conseil, c'était des femmes qui étaient au grand air, en public», impliquées dans les activités sociales, comme le souhaitait la jeune fille à l'époque.
Des bouleversements à suivre
Arrivée à Montréal au début des années soixante, soeur Turcot a suivi avec intérêt les bouleversements de la Révolution tranquille par l'entremise du Devoir. Sa congrégation, Notre-Dame-du-Bon-Conseil, était d'ailleurs déjà abonnée depuis 1923 au quotidien, un legs de la fondatrice Marie Gérin-Lajoie, une passionnée de politique. «On nous raconte qu'assez souvent, quand elle donnait une instruction aux novices le matin, elle arrivait avec Le Devoir et commentait l'actualité», confie Gisèle Turcot.
Au fil des ans, soeur Turcot a été tour à tour supérieure générale des Soeurs de Notre-Dame-du-Bon-Conseil, fondatrice de l'organisme Femmes et ministères et du Réseau oecuménique des femmes, ainsi que titulaire de la revue Relations.
Aujourd'hui retirée du monde du travail, l'adepte de Scrabble se définit néanmoins comme une «bénévole à temps plein». Engagée pour la paix au sein de l'organisme Pax Christi, un mouvement de prière né en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui intervient dans les situations de conflit, Gisèle Turcot fait aussi de l'accompagnement en spiritualité ignacienne. «Chaque congrégation développe une spiritualité, une façon particulière de prier, de réfléchir, de voir le monde. C'est ce qui nous guide dans les choix qu'on fait.»
Un Devoir de communauté
Dans la maison où Gisèle Turcot vit avec quatre autres religieuses de sa congrégation, Le Devoir continue d'être la principale source d'information. L'attachement au journal se devine d'ailleurs dans le petit salon de lecture: on y voit bien roulé l'Agenda de la semaine, une petite pile des éditions précédentes du Devoir attend sur un bureau la séance de «découpage» — pour la revue de presse de soeur Thérèse —, tandis que sur une table basse est posé le journal du jour, que se partagent les cinq dames.
Car Le Devoir est ici un «outil de lecture quotidien»... et communautaire. Pendant que l'une parcourt les actualités, l'autre s'empare du cahier B pour faire un brin de lecture dans le métro. Quant au cahier Livres du samedi, il est «traversé d'un bout à l'autre» par la plupart des religieuses, qui se signalent au passage les incontournables. «C'est un plus dans notre communication. Ça nous fait une base commune pour analyser une situation, raconte Gisèle Turcot, aussitôt appuyée par ses consoeurs. À tous les repas, on se parle de ce qu'il y a dans les journaux. Ça alimente constamment les conversations.»
Sensible à tous les articles traitant de guerre et d'armement, parcourant autant les dossiers d'éducation que les chroniques religieuses de Jean-Claude Leclerc, soeur Turcot apprécie du Devoir ses idées claires. L'«appel à tous» de Josée Boileau critiquant le traitement de l'information sous le gouvernement Harper, en juin dernier, l'a d'ailleurs marquée. «C'est très important qu'on entende cette voix-là dans Le Devoir et qu'on fasse notre part, après, comme citoyens.»
Celle qui s'informe aussi sur Internet et ne manque jamais le bulletin de 23h à TV5 — «pour compléter, savoir où sont les points chauds» — qualifie Le Devoir de «référence» et apprécie la diversité des opinions. «On a besoin, dans un milieu comme le Québec, d'une pensée critique et de l'espace que fait Le Devoir aux idées, aux lecteurs, estime soeur Turcot. Mais en même temps, il y a une ligne éditoriale, et ça, c'est précieux. On sait où on loge quand on lit Le Devoir.»