Journal de Montréal - Rejet massif de l'offre patronale

Rentrer au Journal de Montréal (JdeM) peut-être, même à reculons, même à gros rabais, même décimé. Fermer RueFrontenac, ça non et non, à 89,3 % précisément.
Le président du Syndicat des travailleurs de l'information du JdeM résume ainsi le dilemme posé à ses collègues réunis hier en assemblée générale extraordinaire pour discuter d'une nouvelle offre patronale. Selon sa lecture, à la limite les employés du quotidien en lockout depuis plus de 600 jours pouvaient envisager de retourner au boulot avec une convention collective lessivée, en laissant quatre des leurs sur cinq en rade. Seulement, fermer RueFrontenac, leur média syndical en ligne, leur gagne-pain éventuel, leur bouée professionnelle, leur semblait impensable. Ils ont donc rejeté l'exigence du patron en bloc, à neuf contre un.«Pour nous, c'était un point majeur, a dit M. Leblanc en point de presse. On s'est battu jusqu'à 11h passées lundi soir au ministère [du Travail, devant le médiateur]. [...] Ça a été non sur toute la ligne. [...] C'est dommage, parce que je pense que si nous avions eu une entente sur la non-concurrence, nous aurions eu un "deal".»
L'offre patronale ne voulait pas que fermer le site ruefrontenac.com «définitivement et pour toujours»: elle exigeait des journalistes congédiés de ne pas aller travailler pour La Presse ou Cyberpresse, le principal concurrent du JdeM. Par contre, la clause de non-concurrence autorisait la création d'un nouveau site, sous un autre nom, six mois après la signature de la convention.
Ovation
Le résultat net à neuf contre un a été accueilli par une ovation de la part des syndiqués réunis symboliquement (ou ironiquement) au Centre Pierre-Péladeau de Montréal, un lieu culturel baptisé en l'honneur du fondateur de Quebecor, propriétaire du JdeM et père de son dirigeant actuel, Pierre Karl Péladeau. Le conflit de travail ouvert le 24 janvier 2009 se poursuit pour les 253 membres de l'accréditation multisectorielle, qui regroupe des employés de bureau comme des membres de la rédaction.
«Il y a une chose très importante à comprendre: nous avons présenté cette proposition sans la teinter, sans la commenter, sans recommandation de rejet ou d'acceptation, a souligné le président Leblanc. Le 89,3 %, c'est un chiffre que les gens ont décidé eux-mêmes.»
L'offre élaborée devant un médiateur au cours des cinq dernières semaines proposait de conserver 52 employés (dont 3 à temps partiel), soit 1 sur 5. Les bureaux en auraient compté 17 et la rédaction 32 (dont 17 journalistes, 5 pupitreurs et 4 photographes). Selon cette hypothèse, l'ancienneté prévalait pour les postes à combler, mais une liste noire (black-list) aurait permis à l'employeur de refuser le retour d'un salarié. Par comparaison, la salle du Devoir, qui tire à 10 fois moins d'exemplaires, compte une quarantaine de syndiqués, dont environ 25 reporters.
D'où l'importance pour les lockoutés de conserver leur site Internet. «Si on met 50 ou 60 journalistes à la porte, ils ne sont pas sûrs de se retrouver un emploi, a dit le président. La seule avenue viable pour nous, pour essayer de sauver des jobs, c'était RueFrontenac.»
La proposition patronale déposée il y a deux ans, avant le déclenchement du lockout, exigeait 233 modifications à la convention collective. Celle rejetée hier en rajoutait environ 500 de plus selon l'évaluation syndicale.
Les indemnités de départ proposées totalisaient 20 millions, à se partager à environ 200. «Il faut mettre ça en perspective. Si demain matin je gagnais 100 000 $ à la loterie, je pourrais arrêter de travailler?» a expliqué le président Leblanc. «[...] L'offre est inacceptable parce qu'elle prévoit 200 mises à pied, des primes de séparation insuffisantes pour amener nos gens à la retraite, une convention collective détruite, vide.»
Déception patronale
La direction du JdeM se dit «profondément déçue» par le résultat du vote. «Cette hypothèse de règlement aurait permis d'assurer la pérennité du Journal de Montréal par la mise en place d'un plan d'affaires adapté à la nouvelle réalité de la presse écrite», dit le communiqué diffusé hier soir. «La direction du Journal demeure convaincue qu'il s'agissait d'un règlement honorable et satisfaisant pour les deux parties.»
Le texte patronal parle plutôt de l'abolition de quelque 130 postes réguliers et présente l'enveloppe de 20 millions comme une bonification de 33 % par rapport aux hypothèses de règlement précédentes. Le communiqué affirme aussi que «les 35 professionnels de l'information» retenus auraient toujours été «parmi les mieux payés de l'industrie».
Et maintenant? La direction syndicale assure avoir encore de l'argent pour «faire un sacré bout encore». Une version papier hebdomadaire de RueFrontenac sera lancée dans deux semaines et devrait aussi amener des fonds.
Une résolution adoptée hier en assemblée syndicale demande à l'Assemblée nationale de convoquer une commission parlementaire sur le conflit de travail, maintenant le plus long dans le secteur des médias dans l'histoire du Canada. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) approuve aussi la démarche.
«Après un an et huit mois de lockout, les deux parties n'ont plus la capacité de s'entendre par elles-mêmes et il va falloir que Québec continue à leur montrer le chemin vers une solution négociée, dit Brian Myles, président de la FPJQ. Une commission permettrait d'exposer les problèmes et les enjeux sur la place publique. Il ne faudrait pas que le refus d'[hier] fasse traîner le conflit encore un an. Il a assez duré. Il prive des journalistes de leur travail. Il fait en sorte qu'un grand quotidien national est amputé d'une bonne partie de ses effectifs. Et ça vient pourrir les relations professionnelles qu'on a entre collègues.»