Revue de presse - Repenser le multiculturalisme

Le Globe and Mail a profité de sa refonte graphique pour se donner une nouvelle mission: alimenter des débats de fond sur des enjeux de société. Premier dossier: le multiculturalisme. Et le résultat est jusqu'à présent très intéressant (http://www.theglobeandmail.com/news/national/time-to-lead/multiculturalism/) et impossible à résumer en une seule chronique. Il a aussi tout pour susciter la curiosité de quiconque a suivi le débat sur les accommodements raisonnables au Québec.

Le quotidien ne cache pas ses couleurs et affiche même une teinte républicaine. Selon lui, le mot «multiculturalisme» a fait son temps et devrait être rayé de notre vocabulaire, car il a perdu tout son sens au fil de l'éternel débat sur ses avantages et inconvénients. Les nuances de la politique originale se sont perdues. De plus en plus de gens croient que son but est de célébrer la différence, donnant au nouvel arrivant l'impression qu'on cherche à l'enfermer dans une boîte. Le Canada, pense le Globe, doit recentrer le débat et «avoir le courage de bâtir une société autour du concept de citoyenneté. Les Canadiens ne devraient pas craindre d'articuler — pour ceux nés ici et ailleurs — ce qui définit le pays et d'avancer l'idée que la citoyenneté vient avec des responsabilités, pas seulement des droits.» Le quotidien rappelle que le Canada compte plus d'immigrants per capita que tout autre pays, sauf l'Australie. La diversité qui en découle est un enrichissement, tient à souligner le Globe, mais le Canada ne devrait pas chercher, par souci d'accommodement, à reproduire les pays d'origine. Les immigrants doivent être informés, dit-il, de l'obligation d'apprendre une des langues officielles et de comprendre les garanties offertes par la Charte des droits et libertés en matière de religion, de liberté d'expression, mais aussi d'égalité des sexes. En contrepartie, le Canada a le devoir non seulement de recruter des immigrants instruits, mais de leur faire une place à la mesure de leurs talents. Le quotidien rappelle que les immigrants ne viennent pas ici pour reproduire leur ancienne vie, mais pour ce que représente le Canada, son mode de vie, ses institutions démocratiques, sa liberté, sa règle de droit et ainsi de suite. «Ces concepts fondamentaux ont beaucoup plus de résonance qu'un autre débat sur le sens du multiculturalisme. Le futur du Canada en dépend», conclut-il.

On vote


Pour lancer son dossier, le Globe a, sous la plume de John Ibbitson et de Joe Friesen, montré combien les comportements électoraux des immigrants des deux ou trois dernières décennies se distinguent de ceux arrivés au cours des années 1950 et 1960. Originaires de pays aux valeurs sociales, familiales, économiques et religieuses plus conservatrices, ils sont de plus en plus attirés par le Parti conservateur. Ce comportement semble vouloir changer avec les nouvelles générations nées ici, qui seraient plus libérales dans leurs valeurs et leurs choix politiques, relèvent les journalistes. Mais en attendant, la première génération domine et on ignore quelles seront les implications de ce brassage sur des politiques publiques. Le pays reçoit l'équivalent de la population de Toronto tous les 10 ans. L'ajout de sièges dans les régions en plus forte croissance, grâce à l'immigration, aura une incidence, mais laquelle?

Points de vue


Le dossier du Globe a suscité témoignages et questions. Née au Canada de parents d'origine pakistanaise, Aisha Khan se demande à quel moment une personne membre d'une minorité visible devient canadienne. Son fils, qui ne connaît rien du Pakistan, se fait encore demander d'où il vient. «À quel moment la couleur de la peau de ma famille cessera-t-elle de compter? Mes petits-enfants et arrière-petits-enfants se feront-ils encore poser la question? Ou cela arrêtera-t-il uniquement quand ils se reproduiront avec des gens à la peau plus pâle et que leur couleur plus foncée commencera à s'effacer?» Selon Khan, présenter son fils comme un Pakistano-Canadien équivaut à lui dire qu'il n'appartient pas complètement à ce pays.

Le Toronto Star, qui s'intéresse à ce débat depuis longtemps, n'est pas en reste avec un texte du chroniqueur Martin Regg Cohn. Sa question: qui parle au nom de cette nation multiculturelle? Sa réflexion est inspirée par la décision du ministre de la Défense, Peter MacKay, d'exclure un imam d'Ottawa d'une cérémonie tenue à son ministère. L'imam Zijad Delic a le défaut d'être directeur national du Congrès islamique canadien, un organisme critiqué par le passé pour les propos tenus par un prédécesseur de M. Delic, Mohamed Elmasry. Ce dernier avait affirmé que les adultes juifs étaient des cibles légitimes des kamikazes parce qu'ils servent tous dans l'armée. Il s'est excusé depuis, mais son organisation en souffre encore. Cohn se demande sur quelle base le gouvernement décide qu'un groupe parle ou pas au nom d'une communauté, qu'elle soit musulmane, juive, tamoule ou autre. Qui écoute-t-il? La communauté musulmane a ses factions. La communauté juive a ses propres luttes intestines. Même chose avec les Tamouls. Par conséquent, conseille le journaliste, mieux vaut, chaque fois qu'un supposé porte-parole dit savoir ce qu'une communauté pense, se demander: «Comment le sait-il?»

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mcornellier@ledevoir.com

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