Souvenirs de la rédaction - Journaliste et pédagogue

Jean-Pierre Proulx, dans les années 1970.
Photo: Archives - Le Devoir Jean-Pierre Proulx, dans les années 1970.

Depuis cent ans, ils ont été nombreux les journalistes qui, à titre de reporters, de pupitreurs, de photographes ou de cadres de l'information, ont façonné Le Devoir. Mais eux, qu'ont-ils retenu de leurs années au journal? Dix «anciens», un pour chaque vendredi de l'été, nous répondent.

Ma vie de professeur a été incontestablement marquée par ma vie de journaliste. Elle en a été le prolongement et elle s'en est nourrie pendant près de 20 ans. Pourtant, à mon arrivée au Devoir, fin avril 1968, rien ne me prédestinait à faire carrière en éducation, encore moins à l'université.

Je venais plutôt de terminer des études en théologie et j'avais offert mes services à Claude Ryan pour devenir reporter à la religion. Militant au surplus dans le syndicalisme étudiant de l'époque, j'avais le profil! Il m'a engagé.

Quatre ans plus tard, Gérald Leblanc, qui assurait depuis deux années la couverture du secteur éducatif, devint courriériste parlementaire. Or, stipulait la convention collective, la direction avait six mois pour lui trouver un remplaçant. Mais huit mois plus tard, le poste était toujours vacant. Ryan savait procrastiner!

Entre-temps, j'étais devenu «agent de grief» au sein du syndicat. Mon président me pria donc de bien vouloir remplir mon devoir. Très intimidé, je me suis présenté au bureau du patron avec un collègue. Il nous a reçus avec égard, nous priant de revenir le lendemain.

Le jour suivant, nous nous sommes présentés et Ryan m'a dit tout de go: «C'est réglé, M. Proulx. Je vous nomme reporter à l'éducation!» Je n'avais pas du tout sollicité ce poste, mais je l'acceptai. C'est ainsi que mon orientation professionnelle a changé du jour au lendemain, et pour le reste de ma vie.

Une passion

Il y a bien des façons, comme journaliste, d'aborder son domaine. Pour ma part, je me suis tout de suite passionné pour les aspects institutionnels et juridiques du monde de l'éducation. Après le rapport Parent, un grand débat faisait rage en éducation: la «restructuration scolaire». On avait proposé de remplacer les commissions scolaires catholiques et protestantes par des commissions scolaires uniques ou unifiées qui auraient pris en charge tous les élèves de leur territoire.

Dans ce débat — qui ne sera réglé qu'en 1998 — étaient inextricablement mêlées à la fois les questions religieuses et linguistiques. Le Québec se sécularisait et l'on débattait du bill 63 et de la loi 22 dans l'arène politique comme devant les tribunaux. Ces débats furent, comme journaliste, mon pain quotidien.

Je pris même, de 1974 à 1980, congé du Devoir pour devenir secrétaire du comité sur la restructuration scolaire du Conseil scolaire de Montréal, puis pour prendre la direction, au ministère de l'Éducation, de la mise en oeuvre de la loi 101. Ce mélange d'expériences professionnelles m'amena à approfondir de façon importante ma connaissance du monde de l'éducation. Et cela a continué pendant 11 autres années, après mon retour au journal en 1980.

C'est un autre événement inattendu qui m'amena à le quitter. À l'automne 1989, j'étais invité comme conférencier à un colloque sur les 25 ans du ministère de l'Éducation. Des professeurs de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal y participaient. La faculté, m'apprit-on, s'apprêtait à ouvrir des postes de professeurs, dont l'un sur les aspects institutionnels et juridiques de l'éducation.

Je me risquai à mettre un pied dans la porte en manifestant un certain intérêt pour la chose, quoiqu'incertain de la pertinence de mon geste. Quinze mois plus tard, on me faisait une offre ferme. J'ai agonisé pendant un mois. Devais-je quitter un métier que j'adorais? J'ai plongé. La directrice Lise Bissonnette, heureusement, me donna, si j'ose dire, sa bénédiction!

Une continuité


J'ai décidé instantanément que je ne cesserais pas d'être journaliste parce que je devenais professeur. D'ailleurs, on m'avait engagé comme professeur en éducation avant tout parce que j'avais pendant 17 ans acquis comme journaliste un bagage de connaissances et d'expériences pertinent.

Ainsi, c'est d'abord par le journalisme que, pour une large part, je remplirais cette fonction professorale que sont les «services à la collectivité». Je n'ai donc jamais cessé d'écrire et en particulier dans ce journal qui, je l'en remercie, a accueilli de façon privilégiée mes analyses et mes opinions. Mon bagage de connaissances et d'expériences m'a aussi permis (et me permet encore) d'aider fréquemment journalistes et recherchistes de tous médias. Et à la différence de plusieurs de mes collègues, je ne les crains pas!

Mais mes 17 ans au Devoir m'ont tout autant aidé dans ma tâche d'enseignement. Très tôt, en effet, j'ai voulu rendre conscients mes étudiantes et étudiants du fait qu'ils allaient exercer leur futur métier dans un environnement qui dépasserait le strict cadre de leur classe ou de leur établissement. Les institutions éducatives et ce qui s'y passe sont en effet très largement le produit des débats entre de multiples acteurs sociaux qui vivent dans et hors des murs de l'école et dont les médias sont à la fois le reflet, mais aussi les acteurs. Ils ne devaient pas rester indifférents à cela.

En classe, j'attirais l'attention sur ce qui se passe dans l'actualité touchant l'éducation. Concrètement, j'ai constitué chaque année des équipes d'étudiantes et d'étudiants chargés de faire une veille sur cette actualité, d'établir des liens avec la matière enseignée, d'expliquer dans de courts textes (comme à la radio ou à la télé) et en des termes simples, comme s'ils écrivaient à leur mère ou à leur fiancé, tel ou tel événement survenu durant la semaine. Je voulais ainsi préparer mes étudiantes et mes étudiants à devenir des citoyens actifs dans la délibération publique en éducation. Depuis, d'autres professeurs ou chargés de cours ont emprunté, en l'adaptant sans doute, cette même approche. J'en suis honoré.

Une influence

Ma vie de journaliste a aussi profondément influencé mes orientations de recherche. Si je me suis intéressé avant tout à la démocratie scolaire, à la confessionnalité et à la laïcité, à l'opinion publique en éducation, c'est que la conscience des problèmes qui s'y rattachent a surgi pendant que j'étais au Devoir et que j'ai trouvé à l'université le temps de les creuser. Je suis particulièrement fier d'avoir mis à la disposition du public la banque de données Opinéduq sur l'opinion publique et l'éducation au Québec (www.opineduq.ca). Et pendant 15 ans, j'ai continué d'alimenter, jour après jour, cette fois au bénéfice des professeurs et des étudiants, les dossiers de presse thématiques que j'avais apportés en quittant le journal.

J'ai aussi, c'est connu, joué un certain rôle de leader d'opinion pendant mon passage à l'université. Je m'y étais déjà pratiqué entre 1980 et 1982 comme éditorialiste! J'ai été appelé à présider le groupe de travail sur la place de la religion à l'école, et toutes les connaissances acquises dans ce domaine entre 1968 et 1991 ont été irremplaçables. Et quand, en 2002, je suis passé pour un temps à la présidence du Conseil supérieur de l'éducation, je me suis souvenu que si ses avis étaient d'abord destinés au ministre de l'Éducation, ils devaient être lus, compris et, pour avoir un impact, être rapportés par les médias. Cela exigeait qu'ils soient non seulement hardis, mais écrits avec une grande clarté, qualité que m'avait fait développer mon très estimé rédacteur en chef, Michel Roy.

Je me suis parfois senti coupable d'avoir déserté Le Devoir en 1991. En réalité, je m'en rends compte aujourd'hui, je ne l'ai pas et il ne m'a jamais quitté.

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Jean-Pierre Proulx - Reporter au Devoir de 1968 à 1974, puis de 1980 à 1991

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