Le Devoir, c'est moi - L'homme à l'incroyable médaille

Intronisé au Temple de la renommée du comité olympique canadien en 2008, André Laperrière est aujourd’hui retourné à ses pinceaux.
Photo: - Le Devoir Intronisé au Temple de la renommée du comité olympique canadien en 2008, André Laperrière est aujourd’hui retourné à ses pinceaux.

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle d'entre les fidèles. Cette semaine, un champion de hockey comme il ne s'en fait plus.

Si André Laperrière a troqué la patinoire pour la toile, il ne rate jamais une occasion de jeter un oeil sur les résultats sportifs du Devoir, journal qu'il parcourt fidèlement chaque matin. «J'y trouve tout ce dont j'ai besoin et je suis un fan de la chronique politique de Michel David», explique cet ex-champion de hockey, médaillé d'or aux Jeux d'hiver de 1948, toujours costaud malgré ses 84 ans.

Cet hiver, la victoire des Canadiens en finale olympique contre les États-Unis à Vancouver l'a d'ailleurs propulsé 60 ans plus tôt, en Europe, au lendemain d'un conflit mondial dont on ne finissait plus de panser les plaies.

Un soir de janvier 1948, en effet, M. Laperrière, étudiant aux Beaux-Arts et joueur de hockey amateur pour les Carabins de l'Université de Montréal, reçoit un appel téléphonique qui changera le reste de sa vie: un anglophone l'invite à se joindre à l'équipe de hockey pour représenter le Canada aux Jeux d'hiver à Saint-Moritz en Suisse. «Il m'a dit: "Tu dois être à Ottawa demain matin. Un avion viendra te chercher à Dorval. Rappelle-moi dans 15 minutes pour me donner ta réponse." Mon père m'a dit: "Si tu n'y vas pas, tu le regretteras toute ta vie".»

Dès 10 heures le lendemain, il est sur la glace, à Ottawa, avec 60 autres candidats recrutés dans les dix provinces; 11 seront retenus pour former l'équipe olympique. Laperrière sera le seul Québécois.

L'armée d'abord!

Fauché, le gouvernement canadien hésite alors à financer le voyage de l'équipe en Europe. Les hockeyeurs devront donc s'enrôler dans la Royal Canadian Air Force (RCAF) pour porter les couleurs du Canada et bénéficier du soutien de l'État. Partis en train vers New York, ils monteront à bord du Queen Elizabeth qui mettra cinq jours à rallier le port de Liverpool. Un avion militaire mène ensuite les sportifs vers Paris, puis Saint-Moritz où 600 athlètes du monde entier sont réunis pour les premiers jeux de l'après-guerre, dont sont bannis les Allemands et les Japonais.

Avec neuf pays en lice, les gaillards qui portent le chandail de la RCAF Flyers l'emportent facilement contre la Suède et le Royaume-Uni et lessivent les Polonais 15 à 0. Le lendemain, ils battent l'Italie 21 à 1, puis les Américains 12 à 3. Idem pour les Suisses, vaincus par 3 buts contre 1, puis les Autrichiens, blanchis 12 à 0.

Le Canada se retrouve en finale contre la Tchécoslovaquie, qui a aussi remporté toutes ses joutes. Dans l'éventualité d'un match nul, le Canada est assuré de la victoire, compte tenu du nombre de buts marqués et alloués durant la série. «Mais à deux minutes de la fin, notre gardien de but a reçu une punition de l'arbitre tchèque. On savait qu'on perdait la médaille d'or si un seul tir passait», se rappelle Laperrière.

Voyant la plus haute marche du podium risquer d'échapper à son équipe, l'instructeur réunit ses joueurs et réclame sur-le-champ un volontaire pour garder les buts. «Personne ne disait un mot! Comme j'étais défenseur, j'ai pensé que j'étais celui qui pouvait le mieux arrêter les tirs. Ce furent les deux plus longues minutes de ma vie!», raconte l'ex-champion. M. Laperrière parvient à défendre haut la main le filet, et le Canada remporte la médaille d'or. Avec leur compatriote Barbara Ann Scott, médaillée d'or en patin artistique, ce fut la fête au quartier général des athlètes canadiens.

Moments-clés de l'histoire


L'équipe canadienne sillonne ensuite l'Europe pour présenter des matchs de démonstration, notamment à Prague, dans un stade de 21 000 personnes plein à craquer. «Les Tchèques voulaient un match de revanche. Malgré les cris de la foule, nous les avons de nouveau battus 5 à 3», raconte l'ex-athlète, avec ses vieux patins élimés au cou et sa valise d'origine sous le bras, parsemée de collants de l'époque.

Une drôle de surprise attend toutefois l'équipe à son retour à l'aéroport. «Les rues étaient remplies de soldats avec des baïonnettes. Comme nous portions l'uniforme, ils nous ont fouillés et mis aux arrêts à l'aéroport de Prague pendant huit heures», se rappelle-t-il.

Manque de chance, la visite des champions survient au moment du «coup de Prague», lors duquel le gouvernement démocratique d'Edvard Benes, fidèle aux alliés, est délogé par les communistes d'allégeance stalinienne de Klement Gottwald. Prague est occupée de toutes parts. Il faudra l'intervention de l'ambassade canadienne pour laisser s'envoler les hockeyeurs canadiens.

Après 43 parties disputées en deux mois et demi, Laperrière rentre au bercail par bateau, amaigri mais auréolé par la victoire. Contacté par les Rangers de New York, il décline l'offre, d'avis que le hockey n'est pas un métier assez payant (!), et poursuit ses études à l'École des beaux-arts.

Le costaud de 6 pieds 2 pouces (trois de plus avec les patins) aura d'ailleurs le don de se trouver là où l'histoire s'écrit. Pendant ses études aux Beaux-Arts, il assiste au schisme qui secoue l'institution, provoqué par la sortie du manifeste du Refus global.

Intronisé au Temple de la renommée du comité olympique canadien en 2008, M. Laperrière est aujourd'hui retourné à ses pinceaux. Il peint dans son sous-sol, converti en atelier. Chez lui, ses toiles, gorgées de couleurs vives, tapissent les murs. Mais parfois, dans un coin du salon, un petit éclat de lumière rejaillit. Celui de sa médaille d'or, bien scellée dans son écrin de verre, aussi pimpante que les souvenirs de notre fidèle lecteur.

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