Le Devoir, c’est moi - Le conservateur maison d’un patrimoine national

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle d'entre les fidèles. Et qui savent aussi entretenir le souvenir.
Les premières années du Devoir dorment littéralement dans la pièce qui sert de débarras à la famille de François Saint-Louis. Sous un drap, pour les protéger de la lumière et de la poussière, trois immenses reliures renferment toutes les parutions de 1910 et de 1911.Passionné d'histoire et de vieilles choses, François Saint-Louis a fait de sa demeure une machine à remonter le temps et s'amuse à nous présenter ses bijoux d'autres époques. Il installe les reliures du Devoir sur la table à manger — une ancienne porte du palais de justice de Montréal — et prend bien soin de descendre le buste de son arrière-arrière-grand-père du dessus de l'armoire. «C'était un bijoutier, il s'appelait Théodore-Alexandre Grothé. La sculpture a été réalisée par Louis-Philippe Hébert en 1910. Il faut qu'il soit sur la photo!» lance-t-il au photographe.
Il s'arme de gants de caoutchouc pour ouvrir les épaisses couvertures, car «c'est fragile», mais aussi parce que «c'est sale». Saint-Louis tourne délicatement les pages. «Il y en a qui veulent te briser dans les mains! Tu vois?» demande-t-il, alors qu'une feuille craque et se déchire.
Le cuisinier de profession, qui travaille à la Binerie Mont-Royal (où nous l'avions d'abord croisé, comme en faisait foi le précédent reportage de cette série), a obtenu ce trésor de son père il y a trois mois. «Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours vu ça chez mes parents. J'ai grandi avec.» Son père, un homme passionné par la presse écrite, les a obtenus chez un libraire d'occasion, rue Saint-Denis, dans les années 1950.
Dépaysement
Parcourir les pages jaunies des premières éditions assure un dépaysement total. L'on y découvre par exemple des articles de mode où l'on proscrit «les voilettes à pois» dont l'inconvénient principal est qu'elles «amènent à un désaxement des deux globes oculaires», tout comme des poèmes et l'annonce d'un pique-nique pour les ouvriers d'une usine.
Les publicités rappellent aussi que les temps changent, comme celle du lait Laurentia, où l'on cherche le lien avec le produit laitier. «Votre enfant vivra, inutile de chercher midi à quatorze heures. Le climat du Canada est aussi salubre pour les enfants que pour les adultes», assure la réclame.
De temps en temps, Saint-Louis sort les recueils pour découvrir la société québécoise d'il y a cent ans. Le Québec, c'est d'ailleurs sa passion, lui qui est le fondateur du Mouvement souverainiste du Québec (MSQ). Militant de longue date, il était d'ailleurs à la manifestation lors du passage du prince Charles à Montréal l'automne dernier et il est également sorti dans la rue au début avril pour dénoncer le jugement de la Cour suprême qui invalide la loi 104.
C'est son amour du Québec qui l'a poussé à devenir un fidèle lecteur du quotidien centenaire. «Le Devoir a toujours pris position pour le Québec sur tous les sujets», estime-t-il.
François Saint-Louis ne sait maintenant pas trop que faire des deux premières années du Devoir qui font sa fierté sous son toit. «J'imagine qu'il faudrait qu'ils soient mieux conservés, dans un endroit où la température est contrôlée; c'est plus qu'un patrimoine familial, c'est un patrimoine national», croit-il.