Le lecteur du bout du monde

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle d'entre les fidèles. Cette semaine, nous mettons le cap sur une île française du Pacifique où vit celui qui est probablement le plus lointain abonné du Devoir.
Le numéro spécial du Devoir publié en janvier dernier à l'occasion du 100e anniversaire du quotidien trône en bonne place dans la bibliothèque de Daniel Miroux. Sauf que ce vieil abonné n'est ni à Trois-Rivières ni à Saint-Jérôme. Pas même à Sept-Îles. Il est à plus de 14 000 kilomètres de là, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.C'est dans cette île française du Pacifique que vit depuis maintenant plus de quarante ans celui qui est probablement le plus lointain abonné du Devoir. Depuis plus d'un quart de siècle, Daniel Miroux reçoit l'édition du samedi par la poste qu'il lit religieusement du début à la fin. Le journal arrive par avion avec presque trois semaines de retard. Il circule ensuite de mains en mains entre la cinquantaine de membres de la petite association Alliance Champlain qu'anime notre abonné et qui organise régulièrement des conférences sur le Québec. Les exemplaires sont ensuite déposés à la bibliothèque Bernheim de Nouméa. Daniel Miroux a beau lire aussi Le Devoir sur Internet, il tient absolument à l'édition papier.
«Vous ne savez pas tout ce que le Devoir nous apporte, dit-il sur un ton passionné. Ses articles de fond sont pour nous une mine de renseignements et une bouffée d'air frais. Celui d'une francophonie décomplexée venue d'ailleurs. En voulant faire connaître le Québec en Nouvelle-Calédonie, je suis "tombé en amour" avec Le Devoir.»
Le combat que mène le Québec pour la défense du français est un exemple pour cet homme qui a publié un dictionnaire et un guide de conversation sur la langue d'Ouvéa, une des 28 langues autochtones de Nouvelle-Calédonie parlée par à peine 8000 personnes. «Défendre le français, dit-il, c'est aussi défendre toutes les langues qui sont menacées.»
Cet ancien employé de banque qui travaille aujourd'hui dans une étude juridique rêve du Québec depuis sa tendre enfance. Depuis que, dans son petit village du Morbihan, son grand-père lui racontait les légendes des navigateurs bretons partis à la découverte du Canada. Avide de grand large, Daniel Miroux quitte l'université de Rennes en mai 1968 pour tenter sa chance en Nouvelle-Calédonie comme coopérant.
Le coup de foudre
«À cette époque, j'aurais pu partir pour le Québec, dit-il. Mais je me suis retrouvé en Nouvelle-Calédonie où tout était à faire.» Ce n'était que partie remise. Daniel Miroux a réalisé son rêve et fait son premier voyage au Québec en 1971. Il prend alors un vol pour Honolulu et un autre pour Vancouver d'où il traverse le Canada en train jusqu'à Montréal. Sitôt ses valises posées dans un hôtel de la rue Sherbrooke, il donne une pièce à un clochard qui lui dit «Merci cousin». Ce fut le coup de foudre. Pour Daniel Miroux, les Québécois sont «des Français de bonne humeur».
C'est alors qu'il découvre Le Devoir. À partir des quelques contacts que lui ont donnés deux frères du Sacré-Coeur en mission à Nouméa, il va progressivement faire du Québec son second pays d'adoption. Il y revient régulièrement. Depuis cinq ans, il ne saute pas une année. Chaque fois, c'est un choc thermique, car il débarque en janvier, date des grandes vacances d'été en Nouvelle-Calédonie. Au retour, il rapporte toujours une cinquantaine de livres québécois dont il fait don à la bibliothèque de Nouméa. Les 3500 étudiants de l'université ont donc accès à une collection de plus de 800 romans, recueils de poésie, essais ou livres pratiques québécois.
«Quand je suis arrivé dans l'île, on ne connaissait rien du Québec. Aujourd'hui, tout le monde sait de quoi je parle.» Depuis quelques années, 300 jeunes Néo-Calédoniens viennent même étudier dans les cégeps de l'Abitibi, de la Côte-Nord et du Lac-Saint-Jean. Ils sont inscrits dans des concentrations reliées à l'industrie minière, car la Nouvelle-Calédonie possède le quart des ressources de nickel du monde.
Si Daniel Miroux se passionne tant pour Le Devoir, c'est aussi que les points communs entre la Nouvelle-Calédonie et le Québec ne s'arrêtent pas là. L'île vit elle aussi immergée dans un monde anglophone. Le petit million de francophones du Pacifique Sud ne fait guère le poids à proximité des 22 millions d'Australiens et des 4 millions de Néo-Zélandais.
Au sein de l'État français, les Néo-Calédoniens jouissent par ailleurs d'une autonomie plus grande dans certains domaines que celle du Québec au sein du Canada. En 2014, la France n'y assumera plus que les compétences liées à la Défense, à la Justice et aux Affaires étrangères. Cette autonomie comprend même une citoyenneté particulière pour les habitants de l'île. Un citoyen français n'a pas le droit de vote en Nouvelle-Calédonie s'il n'obtient pas aussi la citoyenneté calédonienne. Grâce aux accords de Nouméa conclus en 1998, les Néo-Calédoniens se prononceront sur leur indépendance en 2014.
Daniel Miroux croit qu'ils choisiront alors une forme de... souveraineté-association! «Le rêve de René Lévesque va peut-être se réaliser en Nouvelle-Calédonie avant le Québec», dit-il. L'histoire ne précise pas si cette idée est arrivée dans l'île avec Le Devoir...
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Correspondant du Devoir à Paris