Après une baisse des revenus - La crise des journaux n'a pas à être fatale

Robert G. Picard est rédacteur en chef du Journal of Media Business Studies.
Photo: Journal of Media Business Studies Robert G. Picard est rédacteur en chef du Journal of Media Business Studies.

L'ouragan Internet a dévasté le journalisme, l'aurait laissé moribond sur un banc de neige et menace maintenant la survivance de la démocratie, selon le point de vue le plus répandu, aujourd'hui, sur l'industrie de la presse. Une telle analyse est-elle exacte?

Des journalistes, d'autres qui haïssent le journalisme d'entreprise et les missionnaires d'Internet et des médias sociaux ont répandu la nouvelle sur la mort imminente des journaux plus rapidement qu'une légende urbaine. Ils l'ont illustrée d'anecdotes de ruine financière, de mises à pied et de couverture déficiente. La veillée funèbre fait désormais partie de la culture populaire et est évoquée dans la littérature et les émissions de télévision.

Heureusement, les rumeurs sont fausses et reposent sur une méprise fondamentale à propos des innovations, de l'économie, de l'industrie des médias et des habitudes de consommation des médias qui ont créé la tempête massive et dévastatrice. Les journaux frissonnent peut-être dans le blizzard aujourd'hui, mais c'est avec lucidité qu'ils peuvent survivre et qu'ils survivront.

La perception de la situation des journaux et de l'industrie de l'information provient d'une regrettable tendance humaine à penser de façon simpliste qu'il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur dans la concurrence et que le succès de l'un est obligatoirement acquis aux dépens de l'autre. Ces façons de penser ont nui à la compréhension de ce qui se passe dans les médias et de ce que cela signifie pour les entreprises de presse et la société.


Nouveaux moyens

L'arrivée de nouveaux moyens de communication a toujours provoqué des changements dans les médias existants: elle a modifié leurs fonctions et leurs rôles, leurs modèles d'affaires et leur utilisation et les a forcés à s'adapter pour survivre. Au cours des deux derniers siècles, les services de télégraphie ont été bouleversés par la prolifération du téléphone, la radio s'est transformée après l'avènement de la télévision, la télévision hertzienne s'est adaptée à l'arrivée de la câblodistribution et les journaux changent maintenant à cause de la télévision, du câble et d'Internet.

Mais le changement ne mène pas nécessairement à la destruction systématique. Nous envoyons toujours les courts messages rapides du télégraphe, mais par SMS ou par courriel. Nous écoutons la radio pour le divertissement, les nouvelles, les sports et les affaires publiques et nous regardons la télévision pour les mêmes raisons. Nous lisons les journaux pour les nouvelles, les analyses et les reportages. Nous utilisons Internet pour communiquer et interagir socialement et pour avoir de l'information et des nouvelles. L'un ne tue pas l'autre, mais chaque changement modifie la quantité de temps que nous consacrons aux divers médias et crée de nouvelles préférences pour certains types de contenu de médias particuliers.


Autre modèle d'affaires

Les journaux ressentent plus durement ces changements aujourd'hui parce que le modèle d'affaires des médias de masse qui les a bien servis durant près d'un siècle est en voie de disparition. Les journaux ne peuvent plus compter sur les annonceurs pour assumer les trois quarts des coûts d'exploitation, parce que l'audience, qui est en train de passer de grand public à un lectorat de niche, devient moins attrayante pour certains annonceurs. Ce problème est le résultat de décennies de changements causés par le choix de la télévision, de la câblodistribution et d'autres sources pour obtenir des nouvelles ou de l'information et pour se divertir. Il n'est pas causé par Internet, mais il est aggravé par Internet.

Les craintes pour la presse se sont accrues très rapidement depuis trois ans, attisées par une baisse spectaculaire des recettes publicitaires, qui est souvent et erronément attribuée à Internet. Cette baisse est en effet attribuable principalement à la récession et non à des changements dans l'utilisation des médias et d'Internet. Peu de gens savent qu'une chute de 1 % du PIB provoque en général une baisse de 3 % à 5 % de la publicité et que les journaux en sont affectés de quatre à cinq fois plus que les autres médias. Ce type de déclin est particulièrement dévastateur pour les entreprises qui sont aux prises avec des coûts généraux et un endettement excessifs et avec des actionnaires qui réclament à cor et à cri des dividendes élevés.


Nécessaire analyse

Les défis que doivent relever les journaux ne sont pas bénins et ne sauraient être minimisés, mais il faut les examiner avec compétence, mesurer leurs effets avec réalisme et éviter la panique.

La tempête qui pilonne la presse laissera des survivants si les membres de l'industrie ont la volonté de se remettre à flot, prennent des mesures décisives pour se protéger et ne se mettent pas plus en danger par de mauvais choix. Ce ne sera pas confortable, mais l'orage se dissipera et les journaux en sortiront plus sages, espérons-le, et chercheront à éviter les erreurs qui ont accru leur vulnérabilité devant cette tempête.

L'industrie de la presse ne reverra jamais les jours heureux qui ont fait la fortune des Asper, Southam et Conrad Black et qui ont rendu la presse si attrayante pour les investisseurs. Cependant, les journaux administrés par des propriétaires raisonnables qui savent garder leurs coûts généraux et leur endettement à un niveau sensé pourront continuer de remplir pendant encore bien des années leurs fonctions sociales.

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Robert G. Picard est rédacteur en chef du Journal of Media Business Studies, professeur et directeur du Centre de gestion et de transformation des médias à l'École internationale de commerce de Jönköping, en Suède.

Texte traduit de l'anglais par Jean-Pierre Fournier.

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