Goûter les joies de la résistance au quotidien

Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle d'entre les fidèles. Et c'est avec un jeune homme de Québec que nous lançons cette série.
Québec — Des débats entourant la sortie du film L'Erreur boréale à ceux plus récents sur le nouveau régime forestier, Étienne Bellemare-Racine, 26 ans, a suivi dans Le Devoir le dossier qui allait devenir sa profession. Tout se serait bien passé n'eût été la terrible influence du chroniqueur Jean Dion!Étienne effectue actuellement sa maîtrise en foresterie à l'Université Laval. Aussi avons-nous choisi de le rencontrer dans le nouveau pavillon de la Faculté, un magnifique ouvrage tout de bois et de lumière.
Voilà 20 bonnes minutes que nous parlons forêts, biomasse et copeaux quand notre interlocuteur, un brin gêné, nous fait cette confidence. «Étrangement, j'ai un peu intégré les longues parenthèses de Jean Dion à ma façon d'écrire et de parler. J'ai tendance à diverger et j'aime bien les sarcasmes. Avec des amis, on s'amuse à pousser des raisonnements à l'extrême.»
Étienne avait 14 ou 15 ans quand, un matin, sa mère lui a fait lire une chronique de Jean Dion. «Quand on est jeune, on est plus malléable. À force de le lire et de le trouver drôle et intéressant, ç'a modulé ma façon de penser...» Le responsable de cette pernicieuse transmission du savoir ne l'a jamais su. Fidèle lecteur, Étienne n'est toutefois pas de ceux qui écrivent aux journalistes et commentent leurs articles en ligne.
Malgré son jeune âge, il dit aimer Le Devoir parce qu'il est en papier. Et cela n'a rien à voir avec la foresterie. Enfin, d'une certaine façon. «Je passe ma journée devant mon ordinateur. Au moins, le matin, je ne déjeune pas devant mon écran.»
À Outremont où il a grandi, le journal faisait partie de la famille, avec moult débats politiques autour de la table. À l'école secondaire, un professeur projette le film de Richard Desjardins dans la classe d'Étienne. Le propos le choque. Pour avoir passé ses étés dans le bois à travailler dans les camps de vacances, Étienne est scandalisé. Il suit le débat dans Le Devoir notamment. «Je me rappelle les textes de Louis-Gilles Francoeur là-dessus.» Un futur ingénieur forestier était né: il fera ses études universitaires à Québec, dans ce domaine.
Après six ans d'études, Étienne a pris ses distances du film et croit à la possibilité d'exploiter la forêt sans la faire disparaître. Avec le recours à la biomasse pour produire de l'énergie et les nouvelles technologies, il est convaincu que «le bois est le matériau de l'avenir».
Comme beaucoup d'autres toutefois, il est moins confiant en l'avenir du papier, journaux inclus. Mais en attendant, il goûte les joies de la résistance. Comme en témoigne cette anecdote. «Quand je vivais en appartement dans le Vieux-Québec, j'allais chercher mon Devoir en bas, dans l'entrée où le camelot le déposait. J'avais remarqué qu'il y avait deux Devoir. Puis un matin, je croise mon voisin, en pyjama, qui s'en allait chercher son journal. Il s'exclame, heureux de m'avoir démasqué: "C'est toi qui lis Le Devoir!". Il était l'autre lecteur. Les autres matins, lorsqu'il allait chercher le journal avant moi, il le déposait dans ma boîte aux lettres.»
Et l'histoire de se reproduire: «Il y a quelques semaines, quand j'ai aperçu le journal qui traînait sur la table de mon voisin (un autre, j'ai déménagé depuis), je lui ai demandé s'il était abonné. Il m'a dit oui et m'a demandé si je l'étais aussi. On s'est immédiatement sentis plus proches. Au-delà de l'anecdote, c'est comme si Le Devoir était une communauté dont on était heureux de faire partie. On se sent comme des résistants.»