Géraldine Langlois, 75 ans de fidélité au quotidien

Dans ses archives, on trouve des éditions anciennes du Devoir: celle portant sur le scandale du gaz naturel, mis au jour par Le Devoir et impliquant le gouvernement de Duplessis, ou celle du 16 novembre 1976, marquant l'accession, la veille, du Parti québécois au pouvoir.
Géraldine Langlois, 91 ans, lit Le Devoir très attentivement depuis l'âge de 15 ans, ce qui lui fait plus de 75 ans de fidélité au quotidien. Rencontrée à son domicile de Magog à l'occasion du centenaire du journal, elle s'est remémoré avec nous les années où son père, résidant à Magog, était abonné au Devoir.«À l'époque, il n'y avait pas grand monde qui le lisait: le notaire, l'avocat, peut-être le curé...», se souvient-elle. Mais son père, qui a fait tous les métiers pour faire vivre sa famille, était un homme politisé.
La jeune Géraldine, elle, lit Le Devoir in extenso, à une époque où la ville de Magog n'a pas de bibliothèque et où peu de livres circulent. «Je le lisais de la première à la dernière page. Il faut dire que les livres étaient rares. Même chez moi, dans ma maison, on n'avait pas de bibliothèque», dit-elle. Plus tard, alors que, jeune maman, elle tenait son premier-né dans ses bras, elle se rappelle avoir traversé la rue principale de Magog pour se rendre sur le parvis de l'église, où Henri Bourassa s'adressait à la foule. «Il y avait beaucoup de monde», se souvient-elle.
Henri Bourassa était venu dans la région pour soutenir le candidat fédéral du Bloc populaire, qui s'opposait à la conscription. Henri Bourassa a longtemps soutenu ce parti qui, dans sa version provinciale, a entre autres compté André Laurendeau parmi ses députés. En fait, le mari même de Mme Langlois, Émilien Lafrance, s'était présenté sous la bannière de ce parti avant de se faire élire, à Québec, dans le gouvernement libéral de Jean Lesage.
Un mari politicien
«La première fois de ma vie que j'ai voté, c'était contre la conscription», se souvient-elle. C'était en 1942. Émilien Lafrance a ensuite été élu dans la circonscription de Richmond, qui abrite la ville d'Asbestos où avait eu lieu, quelque temps avant son élection, la grève des ouvriers de l'amiante dans laquelle Le Devoir avait joué un rôle majeur, allant jusqu'à amasser des fonds de soutien pour les grévistes.
«La grève a favorisé son élection. Il a pris le parti des grévistes, raconte Mme Langlois. Moi, j'étais contre l'espèce de dictature de Duplessis.» Devenu ministre dans le gouvernement Lesage, Émilien Lafrance restera député de la circonscription de Richmond jusqu'en 1970. Et ce n'est qu'après son retrait de la politique que Mme Langlois, qu'on appelait alors Mme Lafrance, a assumé sa propre orientation politique et est devenue ouvertement indépendantiste. «Lui n'était pas indépendantiste», dit-elle.
Elle se souvient cependant qu'à la fin des années 1950, ses enfants fréquentaient le séminaire de Sherbrooke, où des professeurs s'étaient prononcés pour l'indépendance du Québec. Son mari, qui associera plus tard les indépendantistes aux communistes, pas assez catholiques à son goût, avait alors prédit que l'indépendance du Québec se ferait au cours des 20 prochaines années. «Il se trompait, mais à ce moment-là, il le disait comme s'il avait hâte que ça se fasse. Mais il a changé par après», raconte-t-elle.
«Plus à gauche que mon mari»
«Moi, j'étais indépendantiste de coeur et plutôt à gauche», dit-elle encore aujourd'hui. Le gouvernement Lesage, quant à lui, était plutôt de «centre gauche». «J'ai toujours été plus à gauche que mon mari», conclut-elle. Chez les Lafrance, pourtant, on évitait de parler de politique, sauvant ainsi peut-être l'harmonie familiale...
Parmi les gens que Géraldine Langlois a admirés, elle cite Pierre Bourgault, René Lévesque et Jacques Parizeau. Et elle est toujours membre du Parti québécois, même si elle doute aujourd'hui que l'option indépendantiste finisse par gagner le soutien d'une majorité de Québécois. «Ça, c'est très problématique, je ne suis pas sûre du tout qu'on va y arriver. [...] En 1980, je pensais que cela allait y être; je me faisais des illusions.» Pour faire l'indépendance, ajoute-t-elle, «cela prendrait un homme fort et influent dans différents domaines, qui se mettrait à la tête. Est-ce qu'il y en a, est-ce qu'il en existe un?», se demande-t-elle. Pour juger de la relève, il faudrait connaître les jeunes dans les universités.
Mère de cinq enfants, et aujourd'hui grand-mère et arrière-grand-mère, Mme Langlois a vécu l'arrivée des femmes en politique, notamment par la présence de Claire Kirkland-Casgrain, première femme élue à l'Assemblée nationale. Elle-même a repris son nom de fille après la mort de son mari. «Cela aurait dû toujours être comme ça», dit-elle aujourd'hui. Si elle considère que les femmes sortent gagnantes de leur lutte des dernières années, elle aime répéter en riant que ce dont une femme de carrière a le plus besoin, c'est une bonne épouse à la maison...