2010 - L'offre d'information augmente pendant que la demande plafonne

La salle de rédaction du Devoir, en 2010
Photo: Olivier Zuida - Le Devoir La salle de rédaction du Devoir, en 2010

Une gigantesque mutation affecte les médias. Il n'y a jamais eu autant d'informations disponibles, sur tout, partout, pour tous. Seulement, la population, jeune ou vieille, privilégie encore les sources traditionnelles pour s'informer.

La comparaison donne parfois raison. Alors, osons comparer 1910 à 2010. Un peu. Quand Henri Bourassa lance Le Devoir, Montréal compte déjà huit quotidiens, mais guère plus. Le cinéma commence alors à se structurer (le Ouimetoscope a alors un peu plus de trois ans), mais la radio, elle, n'existe pas encore.

Et maintenant? La concurrence multimédiatique et les mutations structurelles du secteur de l'information menacent jusqu'à la survie des empires de presse. Hier, Canwest a déposé le bilan de dix de ses journaux et de 80 sites Internet. Il reste quatre quotidiens vendus (The Gazette, La Presse, Le Journal de Montréal et Le Devoir) dans la métropole en plus des deux distribués gratuitement dans ou devant le métro et des hebdomadaires culturels. La télévision a plus de 50 ans et la dématérialisation amorcée avec le web au tournant du millénaire permet d'avoir accès instantanément et gratuitement aux nouvelles et aux archives du monde entier.

Franchement, si l'offre d'information s'accroît de manière exponentielle, la demande, elle, progresse peu et se morcelle. Les Québécois francophones ont montré un peu plus d'intérêt pour l'information en 2009 qu'il y a deux ans, selon une enquête du Centre d'étude sur les médias (CEM) de l'Université Laval, dont Le Devoir a obtenu des données préliminaires. Ils ont passé 15 minutes de plus chaque jour à s'informer, pour un total de 105 minutes quotidiennes, pour tout genre d'infos con-fondues. «Cette hausse s'explique peut-être par l'intérêt pour l'élection de Barack Obama et les informations sur la crise économique», commente Daniel Giroux, secrétaire général du CEM.

La télé domine toujours

Plus étonnant encore, à peine la moitié des Québécois con-somment une partie de leur information en utilisant les nouveaux modes d'accès, Internet ou le téléphone cellulaire. La très grande majorité du temps (84 % du total) les gens lisent un journal ou un magazine papier, regardent un journal télévisé, se renseignent à la radio. En fait, la télé domine encore largement, accaparant un bon tiers de l'ensemble du temps consacré à s'informer.

«Au chapitre du temps, l'ensemble des nouveaux médias pèse deux fois moins que la télé, observe encore M. Giroux. En plus, quand les gens s'informent en ligne, c'est souvent sur les sites des médias traditionnels, comme ceux de Radio-Canada, de Cyberpresse, de Canoë ou du Devoir. C'est un média interactif et il faut faire un effort pour aller vers certains sites jugés plus crédibles.»

L'enquête du CEM montre aussi que les moins de 35 ans semblent «nettement moins friands» d'information que la moyenne de la population. Le lecteur type d'un journal, y compris du Devoir, a environ 50 ans. La popularité des médias traditionnels croît d'ailleurs avec l'âge, et ce sont les plus âgés qui gonflent le bassin des internautes médiavores.

«La coupure n'oppose généralement pas les jeunes aux vieux, mais plutôt ceux qui s'informent, y compris sur Internet, et ceux que l'information n'intéresse pas», explique encore plus finement Nicole Gallant, professeure à l'Université Laval, spécialiste des rapports des jeunes au monde et entre eux, notamment dans le cyberespace. Elle s'est intéressée au volet qualitatif de l'enquête du CEM, à paraître.

Il y a jeunes et jeunes. Il faut par exemple distinguer les vieux ados (disons de 17 à 20 ans) des jeunes adultes (de 21 à 25 ans). Les premiers ont plus tendance à coller aux réseaux sociaux, tandis que les seconds passent carrément moins de temps devant les ordinateurs. Les jeux vidéo les intéressent tous, comme la télé, mais pas Twitter, le plus jeune des nouveaux médias, jugé vieux jeu. On imagine l'antislogan: ne twitte pas, ce n'est pas cool puisque tes parents le font...

Le fossé disparaît

«Il n'existe pas de fossé générationnel, corrige la professeure. C'est une question de cycle de vie. Les jeunes de 22 ou 23 ans ont fait beaucoup de chat, mais ils sont passés à autre chose. C'est l'équivalent du téléphone d'autrefois et, en plus, ça ne bloque pas la ligne des parents...»

Le problème du multitâche n'obsède pas la spécialiste non plus. Écouter de la musique en lisant ledevoir.com, finalement, qui ne le fait pas? «Les frontières entre les générations s'avèrent de moins en moins rigides, dit la professeure Gallant. En clair, les vieux de 60 ans et plus font à peu près la même chose sur Internet que les jeunes de 25 ans et moins. On devrait donc établir qu'il y a des catégories d'internautes, au comportement similaire, sur le Web. Évidemment, il y a plus d'internautes chez les jeunes, mais l'essentiel n'est pas là.»

Surtout, comme le résume la spécialiste, dans la crise actuelle des médias, tout pointe vers la grande déculpabilisation de la Toile «tripledoublewéisée». «C'est probable que la jeune génération s'informe moins, conclut Mme Gallant. Mais ce n'est certainement pas la faute à Internet, au contraire. Et si on veut qu'ils s'informent, en lisant Le Devoir ou en consultant un autre média, Internet va demeurer le meilleur moyen pour les rejoindre.»

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