Un témoin engagé

Le Devoir a cent ans. D'avoir duré tout un siècle est une forme d'accomplissement pour ceux qui font ce journal quotidiennement. Au cours de ce siècle, ce sont quelque 30 000 éditions que nous avons réalisées, jour après jour, comme des artisans fiers de leur métier. Nous l'avons fait en surmontant de multiples difficultés et oppositions. Nous passons ce cap avec une fierté d'autant plus légitime que ces cent ans font mentir tous ceux qui ont prédit que Le Devoir ne durerait pas. Mieux, il arrive à ce siècle en bonne santé.
L'histoire de ce journal vaut par le rôle qu'il a joué. Son fondateur, Henri Bourassa, voyait ce nouvel organe de presse comme une réponse à cette presse «à tapage, à ramage et à images» où «on bat monnaie en exploitant la bauderie du public». À la une du premier numéro de ce 10 janvier 1910, il écrit que, «pour assurer le triomphe des idées sur les appétits, du bien public sur l'esprit de parti, il n'y a qu'un moyen: réveiller dans le peuple, et surtout dans les classes dirigeantes, le sentiment du devoir public sous toutes ses formes». D'où son nom austère, qui en soi était une mission qu'il déclinait ainsi: le devoir national, le devoir religieux, le devoir civique.Comme tous ses confrères, Le Devoir a été un témoin du déroulement de l'histoire. Mais il a voulu être un témoin engagé. Il a voulu contribuer à la façonner en défendant des idées et en promouvant des valeurs. Il s'est fait l'avocat de la moralité publique, du progrès social, des droits et des libertés. Il a «dénoncé le coquin». Il s'est porté à la défense de la langue française au Canada et au Québec. Il a accompagné le développement de la société québécoise. Ses combats, il les a toujours menés pour le progrès de celle-ci.
Au fil des ans et des directeurs qui ont succédé à Henri Bourassa, ce journal a évolué à l'image de la société québécoise. Il a su toutefois rester fidèle à l'esprit qu'on y trouvait à ses débuts, dont cette volonté d'indépendance inscrite dans les statuts du journal comme dans l'esprit de ceux qui y ont oeuvré et qui y oeuvrent maintenant. Hier comme aujourd'hui, Le Devoir ne veut être au service d'aucune idéologie ni d'aucun parti. Se réclamant de la liberté de pensée, il défend ce qu'il estime être bon et juste.
Dans les pages de ce cahier, nous vous proposons de revivre en accéléré les principaux moments de notre histoire. Nous avons choisi de vous présenter des textes qui ont marqué chacune des décennies de notre siècle. On y retrouvera plusieurs des grandes plumes qui ont fait et qui font aujourd'hui ce journal. À travers ces articles, on constatera que l'histoire du Devoir et celle du Québec sont indissociables. Le Devoir a toujours été un lieu de débat. Il est à lui seul une place publique où tous les jours les idées s'affrontent et se croisent autour des grands enjeux qui confrontent notre société.
Le Devoir d'aujourd'hui est bien différent de celui d'hier. Au début des années 90, la direction et le conseil d'administration procédèrent à ce qui fut une véritable refondation de l'entreprise. Une nouvelle société éditrice fut formée, Le Devoir inc., et l'arrivée de nouveaux actionnaires permit de moderniser le journal et de lui donner un nouveau souffle. Cet aggiornamento a profondément transformé Le Devoir, sans qu'il ait toutefois eu à renoncer à sa différence et au principe d'indépendance si cher à son fondateur.
Un nouveau siècle attend Le Devoir. Il y entre porté par les nouvelles technologies de l'information, qui sont pour lui tout à la fois une menace et une occasion de progrès. Si avoir 100 ans est un accomplissement, ne pensons surtout pas trouver là une assurance de pérennité. C'est jour après jour que celle-ci se construit. Non pour soi, mais pour vous, lecteurs et lectrices, qui êtes notre première raison d'exister.