L'affaire de la Tribune de la presse s'envenime
Les échanges musclés se poursuivent au sujet de l'épineuse question des accréditations de journalistes à la Tribune de la presse à Québec. Pendant que, de Paris, Reporters sans frontières (RSF) justifie sa dénonciation de la Tribune et de l'Assemblée nationale du Québec, les journalistes du Journal de Montréal parlent au contraire d'une position qui «déshonore RSF et son secrétaire général». Le syndicat souligne même des apparences de conflit d'intérêts dans ce dossier chaud.
Reprenons. RSF affirme que son intervention, il y a deux semaines, dans la bisbille au sujet de l'accès à la Tribune de la presse à Québec, ne se voulait motivée que par la défense du principe de la liberté de presse. «Reporters sans frontières s'est prononcée uniquement sur la question de l'accès à l'information», a écrit brièvement au Devoir Jean-François Julliard, secrétaire général de l'association basée à Paris. «En aucun cas, nous ne nous sommes positionnés concernant le conflit syndical en cours, même si nous avons exprimé notre solidarité avec les journalistes en lock-out.»RSF défend les journalistes et la liberté de presse partout dans le monde depuis près de 25 ans. M. Julliard a déclenché la colère de la Tribune en écrivant le 30 novembre au président de l'Assemblée nationale pour dénoncer le «refus d'accréditation» de deux journalistes du Journal de Québec, propriété de Quebecor, comme Le Journal de Montréal, en lockout. La décision de reporter l'étude des accréditations pour un groupe en conflit de travail, prise plus tôt cet automne, a été assimilée par RSF à «un épisode de nature discriminatoire» et à «un mauvais signal pour la liberté de la presse et l'accès à l'information publique dans un pays pourtant exemplaire en la matière».
Le président de la Tribune, le journaliste Pierre Duchesne, de Radio-Canada, jugeait cette prise de position d'autant plus «inacceptable» que RSF n'avait pas cherché à connaître de la Tribune le pourquoi du report des accréditations. Il entend écrire à son tour à M. Julliard. Lui-même a d'ailleurs indiqué dans sa courte réponse au courriel du Devoir qu'il se tenait «dans tous les cas, à disposition du syndicat, de la Tribune de la presse, de l'Assemblée ou de qui que ce soit pour venir discuter plus en détail de ce sujet».
Raynald Leblanc, président du Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal (STIJM, affilié à la CSN), en lockout, n'a pas attendu cet appel pour foncer. Il a écrit au secrétaire général le 5 décembre pour critiquer vertement sa position.
«Nous sommes renversés par votre intervention auprès de l'Assemblée nationale du Québec pour soutenir Quebecor Media, dit M. Leblanc. Reporters sans frontières qui vient au secours d'un conglomérat médiatique dont toutes les démarches récentes visent à diminuer la valeur de l'information au Québec, voilà qui semble invraisemblable.»
Il reproche ensuite à l'organisme d'être soutenu financièrement dans ses activités au Québec par Quebecor pour ainsi «blanchir son image corporative souvent mise à mal». Après avoir résumé l'affaire des accréditations, jusqu'aux poursuites devant les tribunaux du président de l'Assemblée nationale qui appuie la Tribune, il conclut en faisant la leçon au défenseur de la liberté de presse.
«Quand un magna des communications lâche ses avocats contre les institutions démocratiques de son pays pour une affaire comme celle-là, il y a croyons-nous pour votre organisation matière à dénonciation, écrit M. Leblanc. Si cette situation survenait ailleurs dans le monde, il est facile de savoir de quel côté vous pencheriez.»