Médias - Moebius tel qu’en lui-même

Jean Giraud est une sorte de référence absolue pour les amateurs de bande dessinée. Lui-même rappelle qu’à une certaine époque il était considéré comme un pape!

Et c’est vraiment un homme aux identités multiples, «Mister Moebius and Docteur Gir», pour reprendre le titre d’une biographie qui lui était consacrée en 1976.
Les fans se précipiteront donc sur ce documentaire d’Arte, La Vie et l’Art de Jean Giraud: Moebius Redux, produit en collaboration avec plusieurs chaînes étrangères et canadiennes, dont ZDF, CHUM, TV Ontario et Canal D, cette dernière chaîne le diffusant justement demain soir.

Le documentaire est vraiment bien fait: aucun narrateur, seulement des entrevues, avec Giraud et d’autres dessinateurs, et une profusion d’images, dont des animations superbes réalisées à partir de ses dessins.
Curieux destin que celui de Jean Giraud, et curieux personnage, qui demeure quelquefois ambigu. D’un milieu modeste, élevé par sa mère seule, il se réfugie dans le dessin, un «remède à sa mélancolie», dit-il.

À cause du remariage de sa mère, il passe plusieurs mois en 1955 au Mexique, où il éprouve un grand choc esthétique devant les espaces désertiques.
De retour en France, il propose des dessins à un nouveau magazine promis à une grande gloire, Pilote. Il crée rapidement avec le scénariste Jean-Michel Charlier un western, Blueberry, sous la signature de Gir.
C’est un succès total pour cette bédé réaliste et dense. «J’ai créé un personnage avec une charge d’animalité et de sexualité», dit-il, ce qui tranchait fortement avec les héros de type Tintin ou Spirou, pour le moins.
Mais «au fond de moi, je me sentais différent. Ma tête bouillonnait de science-fiction, de surréalisme, de sexualité», ajoute-t-il.

Deuxième voyage au Mexique en 1965, où il connaît une véritable expérience initiatique en consommant des champignons hallucinogènes. Il commence alors à explorer son monde onirique. Non seulement Blueberry prend de la puissance, avec des planches épiques qui atteignent des sommets, mais Gir propose à Pilote, au début des années 70, une histoire éclatée, La Déviation, qui le fait basculer dans le fantastique.

Il se réoriente alors vers la science-fiction sous le pseudonyme de Moebius. Alors là, c’est la gloire. Cofondateur de Métal hurlant en 1974 avec Druillet et Dionnet, ses créations, dont Le Bandard fou, Arzach et Le Garage hermétique, sont attendues avec ferveur par une nouvelle génération de lecteurs.

Le documentaire mon-tre bien l’influence de Moebius sur l’esthétisme de la science-fiction au cinéma et les liens qu’il a développés avec les États-Unis. Ainsi, le réalisateur Jodorowsky le réquisitionne pour la production du film Dune, adapté de la saga de science-fiction de Frank Herbert, une production d’une ampleur incroyable qui ne verra jamais le jour, par manque de financement. Moebius créera toutefois pendant plusieurs années L’Incal, une série de bédés avec Jodorowsky.

Quant aux créateurs qui avaient été réunis pour ce Dune raté, ils créeront ensuite Alien, dont Giger dessine le monstre et Moebius, les costumes. Alien a été écrit par Dan O’Bannon, qui avait aussi travaillé sur Dune, et pour lequel Moebius dessinera ensuite une histoire remarquable, The Long Tomorrow, publiée dans Métal hurlant. Les dessins de Moebius dans cette histoire serviront ensuite à Ridley Scott pour créer l’univers de son film Blade Runner. Tout est lié, comme on le voit.

Moebius lui-même créera ensuite des univers visuels pour les films Tron et Le Cinquième Élément. Stan Lee, le créateur de Spider-Man, lui proposera ensuite de redessiner son Silver Surfer en 1985 chez Marvel Comics, un projet fortement admiré par les critiques mais trop audacieux pour la conservatrice entreprise Marvel.
«J’émets des formes et des idées, mais je ne suis pas responsable, je ne suis qu’un canal», soutient Jean Giraud, dans un langage qui rappelle son passage de quelques années dans une secte ésotérique douteuse. Aujourd’hui, à 67 ans, il affirme être une «vieux pépé» qui vit simplement... mais ses oeuvres possèdent toujours la même force mystérieuse.

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La Vie et l’Art de Jean Giraud : Moebius Redux
Canal D, dimanche 2 mars, 19h.

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