En visite à Paris - Jean Charest prend la défense de TV5
Paris — Sans menacer de se retirer de TV5 Monde, comme l'a fait la Belgique, Jean Charest a décidé hier de faire monter la pression en manifestant son opposition à toute remise en question du statut de la chaîne internationale de télévision francophone. Le Québec n'acceptera jamais que la chaîne francophone soit soumise à une autorité française, a-t-il déclaré après avoir rencontré le premier ministre français François Fillon à Paris, première escale d'un voyage qui doit aussi le conduire à Londres et à Davos.
«C'est une logique implacable, a déclaré Jean Charest. Pour que TV5 fonctionne correctement, elle doit fonctionner indépendamment de ce que la France définira comme étant sa politique audiovisuelle. On comprend parfaitement que la France veuille se donner une politique [...] mais il faut permettre à TV5 de demeurer ce qu'elle est, c'est-à-dire une institution autonome.»Le premier ministre réagissait ainsi aux propositions de réorganisation de l'audiovisuel extérieur français commandées par Nicolas Sarkozy, qui menacent de fondre dans un holding 100 % français les chaînes françaises France 24 et Radio France international ainsi que la chaîne francophone TV5 Monde, propriété des télévisions publiques française, belge, suisse, québécoise et canadienne.
À sa sortie de l'hôtel de Matignon, le premier ministre québécois a affirmé que son homologue français, François Fillon, s'était fait «rassurant» et qu'il avait «réitéré l'adhésion de la France à TV5, à une télévision multilatérale». Mais Jean Charest se dit néanmoins «préoccupé» et conscient que «le débat continue à l'intérieur du gouvernement français». Selon plusieurs sources, en coiffant la chaîne francophone d'un nouvel organisme, le gouvernement français souhaiterait imposer à TV5 Monde les bulletins d'information produits par la nouvelle chaîne d'information continue France 24 et mettre la main sur l'exceptionnelle diffusion dont jouit TV5 Monde sur les cinq continents grâce à ses positions sur les satellites.
Dans l'après-midi, le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, Abdou Diouf, a abondé dans ce sens après s'être entretenu avec Jean Charest. TV5 est «le fleuron de la francophonie», a-t-il déclaré. C'est «une chaîne multilatérale francophone généraliste et elle ne peut pas être la voix de la France».
Une entente à la fin de 2008
Sur un ton plus serein, Jean Charest a annoncé la nomination de l'ancien ministre libéral Gil Rémillard afin de négocier avec la France une entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre. Avec son vis-à-vis français, le secrétaire d'État à la Francophonie, Jean-Marie Bockel, Gil Rémillard aura jusqu'à la fin de 2008 pour parvenir à un accord qui permettrait d'harmoniser les diplômes et les critères des organisations professionnelles, offrant ainsi la possibilité à un ingénieur, à un médecin ou à une infirmière de travailler plus facilement en France ou au Québec.
Une telle entente, dont on avait d'abord envisagé la signature au moment de la venue de François Fillon à Québec en juillet, «permettrait de franchir une nouvelle étape dans les relations commerciales entre nous, estime le premier ministre. Ce serait un précédent. Il n'y a pas deux sociétés qui ont fait ce que nous voulons faire ensemble». Mais la tâche est «complexe», et c'est pourquoi l'échéance a été reportée. «Au mois de juillet, on aura franchi les grandes étapes, mais on se donne jusqu'à la fin de 2008 pour la conclure. [...] Mieux vaut se donner un délai supplémentaire pour réussir.» Le projet a reçu hier l'appui enthousiaste du Conseil du patronat du Québec.
Le premier ministre a été plus vague sur le projet qu'il caresse d'un traité transatlantique de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada. Un accord qu'il entend défendre dans les prochains jours à Londres et à Davos mais au sujet duquel la France a manifesté peu d'intérêt pour l'instant. «M. Fillon a réitéré l'intérêt et l'appui de la France», dit Jean Charest. Mais «on ne peut pas tenir pour acquis cet appui, ajoute-t-il aussitôt. Il faut un appui du privé sur la partie politique, entre autres au niveau de la Commission européenne». Malgré les récentes déclarations protectionnistes du président Nicolas Sarkozy, le premier ministre québécois estime toujours possible d'annoncer l'ouverture officielle de telles négociations lors de la visite de ce dernier en octobre prochain au Québec.
Devant l'opposition de Michael Hart, ancien négociateur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), il a soutenu que «les deux continents partagent en grande partie les mêmes valeurs. Nous faisons face à la même concurrence. Il serait normal que nous y fassions face ensemble».
«Un débat éternel»
Le premier ministre a aussi commenté le sondage Léger Marketing publié hier dans Le Journal de Montréal selon lequel 40 % des Québécois souhaitent un renforcement de la loi 101. «Il y aura toujours au Québec un questionnement sur l'avenir de la langue française, a-t-il déclaré. C'est pour nous un débat éternel. C'est vrai depuis 400 ans [sic] et ce sera vrai pour les 400 prochaines années et pour toujours.» Le premier ministre ne s'est pas montré mécontent de la hausse du taux de satisfaction à son égard, qui est récemment passé de 32 à 47 %.
Interpellé sur le silence canadien concernant la déclaration unilatérale d'indépendance que devrait bientôt prononcer la province serbe du Kosovo, Jean Charest a refusé de répondre. «Je vais laisser le Canada se prononcer. Nous suivons de près ces questions et nous croyons qu'il est important de respecter la souveraineté des pays et de les laisser prendre leurs décisions. Quand nous avons nos débats, nous n'aimons pas que les autres interviennent dans nos affaires internes, c'est ce que nous gardons en tête quand des débats semblables se déroulent dans d'autres pays.»
Correspondant du Devoir à Paris