Concentration des médias - Un pas de plus vers les journalistes-orchestres ?

Le CRTC a rendu publique mardi sa nouvelle politique en matière de «diversité des voix». Au Québec, les critiques les plus vives ont surtout porté sur un aspect précis de cette politique: la séparation des salles de nouvelles d'un même groupe médiatique.
Dans sa politique générale, le CRTC a établi pour la première fois des balises qui permettraient, selon lui, de mesurer une trop grande concentration médiatique.Ces données sont maintenant connues: un propriétaire ne peut pas posséder à la fois un journal, une station de radio et une chaîne de télévision dans un marché local. Et aucune transaction qui permettrait à un propriétaire de contrôler plus de 45 % de l'auditoire télévisuel ne serait maintenant approuvée.
Au Québec, les entreprises ont peu réagi à ces nouvelles normes, et les syndicats d'employés ainsi que les regroupements de journalistes les ont reçues froidement. Mais les journalistes s'en sont pris à la séparation des salles de nouvelles.
Lorsque Quebecor avait acheté TQS dans les années 90, il avait proposé au CRTC (qui lui avait fortement suggéré de le faire... ) de mettre en place un code de déontologie qui garantirait que la salle de nouvelles de la chaîne de télévision fonctionnerait de façon indépendante par rapport aux autres salles de nouvelles de l'entreprise. La mesure visait à garantir une véritable diversité des sources d'information et du contenu rédactionnel.
Ce code a été repris par la suite en 2001, quand Quebecor s'est départie de TQS pour acheter Vidéotron/TVA. Le code, et le comité de surveillance formé d'experts indépendants qui en surveille l'application, fait partie de la licence de TVA. C'est d'ailleurs le comité de surveillance prévu dans la licence de TVA qui a reçu une plainte de la part des journalistes du Journal de Montréal critiquant, entre autres choses, la présence dans leur journal de journalistes de TVA.
Le CRTC avait imposé un code similaire à CTV Global. Mais alors que le code de TVA interdit une cueillette commune d'informations entre les journalistes des différents médias du groupe, ainsi qu'une gestion commune de l'information entre les directions des médias, celui de CTV Global proscrit seulement la deuxième étape.
La collecte des nouvelles
Dans sa décision de mardi, le CRTC a pris deux décisions importantes. D'abord, il n'a plus l'intention de gérer lui-même le code et demande que celui-ci soit géré par le Conseil canadien des normes de la radiodiffusion (CCNR). Ensuite, le «nouveau» code sera modelé sur celui de CTV Global, c'est-à-dire qu'il n'interdit plus le partage des ressources dans la collecte des nouvelles. Ce qui est maintenu, c'est la séparation structurelle dans la gestion et dans la prise de décisions concernant les nouvelles.
Ces subtiles distinctions ont fait bondir les regroupements de journalistes. Le Syndicat canadien de la fonction publique résume ainsi l'opinion générale: «On en arrivera nécessairement à des journalistes-orchestres qui vont alimenter de multiples plates-formes qui présenteront et répéteront les mêmes nouvelles», même si les directions des différents médias du groupe ont encore, en principe, l'obligation de décider de leurs priorités de façon indépendante.
Le CRTC a-t-il voulu prendre acte des changements à venir dans le travail journalistique, alors que plusieurs prédisent que le journaliste de l'avenir devra travailler sur plusieurs supports médiatiques du même groupe? Le CRTC n'en parle pas, mais il doute «de l'efficacité et de la force exécutoire d'une disposition prévoyant la séparation structurelle des activités de collection d'information», écrit-il.
L'organisme hésite beaucoup à se mêler de la gestion des salles de nouvelles, admet-il. Et comme il cherchait aussi à unifier ce code pour l'ensemble du pays, «le caractère distinct» du Québec... ou, en tout cas, celui de Quebecor, a été retiré.
C'est donc le CCNR qui devra maintenant mettre en application ce code de déontologie et faire un rapport au CRTC sur ses activités. Le CCNR est un organisme plus discret, mais il existe depuis la fin des années 80. Il avait été mis en place par l'Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) à la suite des grands débats sur la violence à la télévision, dans la foulée des campagnes de Virginie Larivière. À l'époque, un consensus avait été établi pour que ce soit l'industrie elle-même qui établisse son propre mécanisme de surveillance, plutôt que le gouvernement ou un organisme de type judiciaire.
Des décisions
Le CCNR compte aujourd'hui près de 600 membres (stations de radio et de télévision privées). Il voit déjà à l'application du code de déontologie général de l'ARC et de codes sur la violence à la télévision ainsi que sur les stéréotypes sexuels. Il reçoit des plaintes du public et rend des décisions que les réseaux doivent publiciser; il ne peut toutefois infliger des sanctions ou des amendes, un peu comme le Conseil de presse du Québec.
Présidé par Ronald Cohen depuis 1993, un avocat et cinéaste fort connu au Canada anglais, il compte des comités régionaux et son comité québécois, présidé par la p.-d.g. de TV5, Suzanne Gouin, comprend des cadres de Corus, d'Astral, de TQS, de Radio-Nord, etc.
À ce jour, le Conseil a rendu plus de 380 décisions. Depuis deux ans, on en entend parler un peu plus au Québec, à la suite de plusieurs plaintes du public concernant le Doc Mailloux ainsi que Stéphane Gendron, dans le cadre de ses émissions à TQS.
Dans sa décision, le CRTC demande au CCNR d'inclure maintenant dans sa structure un nombre «minimal» de journalistes — une modification nécessaire pour éviter que ce soient seulement les directions des entreprises qui gèrent le dossier de la séparation des salles de nouvelles — et de lui proposer un nouveau mode de fonctionnement d'ici trois mois.
Il faudra donc donner sa chance au coureur. Mais au Journal de Montréal, la présidente du syndicat des journalistes, Chantal Léveillée, exprime sa méfiance. «Avec ces changements, il est clair que ce sont les dispositions de la convention collective qui nous protègent le plus contre les abus potentiels», dit-elle.