«Arnold»: les trois vies d’Arnold Schwarzenegger

Tout au long de la docusérie «Arnold», l’ex-champion de culturisme, star de cinéma et politicien se raconte avec une franchise assez désarmante.
Netflix Tout au long de la docusérie «Arnold», l’ex-champion de culturisme, star de cinéma et politicien se raconte avec une franchise assez désarmante.

Arnold Schwarzenegger a eu plusieurs vies. Monsieur Univers puis Monsieur Olympe dans les années 1960-1970, il devint une superstar du grand écran dans les années 1980, régnant presque sans partage sur le box-office jusqu’au milieu de la décennie suivante. Sa domination s’estompant, cet Autrichien d’origine, naturalisé américain en 1983, se réinventa politicien en devenant gouverneur de la Californie, en 2003. Le culturisme, le cinéma et la politique : trois « vies » que fouille en autant d’épisodes la docusérie Arnold, réalisée par Lesley Chilcott pour Netflix. Retour sur l’une des figures emblématiques les plus improbables, mais incontournables, de la culture populaire.

Improbable parce que, comme il se plaît lui-même à en rire avec la satisfaction de celui qui a remporté son pari, cet émigré « au nom imprononçable » affligé d’un accent à l’avenant, n’avait rien pour réussir à Hollywood.

Rien, sinon son corps. En le sculptant dès l’adolescence, Schwarzenegger « forgeait sa destinée ». Dans le premier épisode, Schwarzenegger évoque son père alcoolique et violent revenu brisé de la guerre, l’alcoolisme subséquent de son frère, mort ivre au volant, et surtout, sa volonté de fuir et de réaliser le « rêve américain ». Sa principale motivation à chaque défi relevé ? Se faire dire que « c’est impossible ».

Tout du long, d’une franchise assez désarmante, il admet avoir un temps tourné le dos à sa famille, renouant sur le tard avec sa mère, à qui il impute son perfectionnisme.

Le héros surhumain

Or, au moment où Schwarzenegger perça à Hollywood, son corps correspondait à l’image de puissance promue par le président Ronald Reagan. Millionnaire de l’immobilier pour y avoir investi tous ses gains dès son arrivée aux États-Unis en 1968, Schwarzenegger partageait la vision capitaliste de Reagan.

Comme le note Dave Saunders dans son ouvrage Arnold: Schwarzenegger and the Movies : « À aucun autre endroit, et à aucun autre moment qu’à l’époque de Reagan (non sans à-propos un ancien acteur au registre limité), Schwarzenegger n’aurait pu conquérir les États-Unis, et par extension le monde, comme il l’a fait. »

Après les antihéros humains des années 1970 joués par les Dustin Hoffman, Al Pacino et consorts, place aux héros surhumains huilés des années 1980 incarnés par Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger (qui reviennent dans le second épisode sur leur rivalité d’antan). Son premier gros succès, Conan the Barbarian (Conan le barbare, 1982), fonctionne parce que Schwarzenegger a, littéralement, un physique de bande dessinée.

Même son accent finit par se transformer en atout, en « marque de commerce ». Le réalisateur James Cameron y contribua, en 1984, avec Terminator. Le robot venu du futur qu’y campe l’acteur est quasi mutique, mais ses rares répliques font mouche : « I’ll be back » (« Je reviendrai ») est entrée dans les annales.

Dans ses films suivants, Schwarzenegger exigera des scénaristes qu’ils adoptent la même approche en matière de « répliques qui tuent ».

En parallèle, ce « monsieur muscles » un peu fruste se mit à frayer avec ce que les États-Unis ont de plus proche de la royauté : le clan Kennedy. En couple depuis 1977, Maria Shriver (nièce de JFK) et lui convolèrent en 1986 lors d’un mariage hypermédiatisé.

Au cinéma, de Commando à Predator, les succès d’action se poursuivirent. Craignant l’essoufflement, Schwarzenegger jugea bon de changer son image. En 1988, il forma avec Danny DeVito un drôle de couple de jumeaux non identiques dans Twins (Jumeaux), sa première comédie et son film le plus rentable jusque-là, avec 216 millions $US en recettes mondiales. Il alternerait dorénavant les deux registres.

En 1990, il fut ainsi, simultanément, un espion amnésique sur Mars dans le thriller de science-fiction Total Recall (Voyage au centre de la mémoire) et un policier passant pour un prof de maternelle dans la comédie Kindergarten Cop (Un flic à la maternelle). Les deux films trônèrent au sommet du box-office. En 1991, Terminator 2, où il retrouvait James Cameron, rapporta 520 millions $US, un record cette année-là. Cette fois, Schwarzenegger joua le gentil. Rebelote avec Cameron, en agent secret désireux de reconquérir sa femme, pour la comédie d’action True Lies (Vrai mensonge), qui caracola aux guichets.

Les années subséquentes virent toutefois sa popularité péricliter. Opéré à coeur ouvert deux fois d’affilée le même jour, il ne tourna pas pendant deux ans, revenant en 1999 avec End of Days (La fin des temps), entre thriller, horreur et action : recettes honorables. Il n’empêche, le temps était venu d’aller relever de nouveaux défis.

Zones d’ombre et contradictions

L’arrivée en politique d’Arnold Schwarzenegger ne surprit personne. Gouverneur — ou « Governator » comme on le surnomma — de 2003 à 2011, il s’avéra un républicain modéré qui ne craignait pas d’agacer son parti, par exemple en nommant, dixit le documentaire, « une démocrate ouvertement lesbienne », Susan Kennedy, au poste clé de cheffe du personnel.

Il déçut la communauté LGBTQ+ en votant contre le mariage entre personnes de même sexe, bien qu’il eût été célébrant lors d’unions civiles gaies. En 2015, il revint sur sa position et se réjouit publiquement de la légalisation du mariage pour tous à la grandeur du pays : le « Hasta la vista », sa réplique célèbre de Terminator 2, qu’il servit sur Twitter à un abonné homophobe, devint viral.

Le troisième épisode de la docusérie est en l’occurrence fascinant pour quiconque s’intéresse à la politique américaine. On a en effet droit à un regard en coulisse révélateur, avec la participation d’anciens employés et de journalistes pas du tout complaisants. On pense à Carla Hall, du Los Angeles Times, qui revient sur son enquête au sujet des allégations d’inconduites sexuelles formulées par plusieurs femmes. Après s’être excusé à l’époque sans rien admettre, l’ex-gouverneur affirme à présent avoir mal agi, et que rien ne justifie ses comportements passés. Il parle sans faux-fuyant de sa liaison extraconjugale et de l’enfant qui en est né.

On acceptera ou non ses excuses renouvelées, de la même manière qu’on croira ou non à la sincérité de ses remords, mais il reste qu’ici, Schwarzenegger ne se défile pas. Les zones d’ombre de l’homme sont mises en lumière par la réalisatrice, ses contradictions également : ardent défenseur de l’environnement, il a contribué à populariser les polluants Hummer, entre autres exemples.

Tout cela permet à la production de Lesley Chilcott, tout « autorisée » soit-elle, de transcender l’hagiographie. Cela, alors que, sur Netflix aussi, Schwarzenegger goûte à nouveau le succès avec la série Fubar (V.F.) où, avec autodérision, il convoque les souvenirs de Commando et de True Lies en agent secret à la retraite qui découvre que sa fille exerce le même métier.

Partout à tout moment

Dans son ouvrage Why Arnold Matters: The Rise of a Cultural Icon, Michael Blitz conclut :

« Ce n’est pas simplement qu’il s’est transformé de culturiste en homme d’affaires en monstre du box-office en politicien ; au contraire, il est simultanément et impossiblement partout dans notre culture à tout moment. Arnold Schwarzenegger définit l’essence du rêve américain à une époque où les Américains ont dû reconnaître la vulnérabilité et la quasi-impossibilité de ce rêve. »

À 75 ans, Arnold Schwarzenegger réaffirme quant à lui sa volonté d’être utile. Comment ? La réponse réside peut-être dans ses vidéos virales, qu’il y interpelle le peuple russe afin de dénoncer la guerre de Poutine en Ukraine, ou qu’il y soutienne l’effort mondial de vaccination pendant la pandémie. Arnold Schwarzenegger, influenceur ? Ou plutôt : Arnold Schwarzenegger : « Influentor ».

Arnold (V.O. et V.F.)

★★★ 1/2
Documentaire de Lesley Chilcott. États-Unis, 2023, 3 épisodes de 60 minutes. Sur Netflix dès le 7 juin.

Fubar (V.O. et V.F.)

★★★
Comédie d’action de Nick Santora. Avec Arnold Schwarzenegger, Monica Barbaro. États-Unis, 2023, 8 épisodes de 45-59 minutes. Sur Netflix.

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