«L’Osstidquoi? L’Osstidcho!»: pas une ride

Combien de fois on a fêté le 50e anniversaire de carrière de tel ou tel artiste ? Why not, why not. Mais L’Osstidcho, c’est passé dans le beurre complètement », fait d’emblée remarquer Louise Forestier, qui, avec Mouffe, Robert Charlebois et Yvon Deschamps, présentait au théâtre de Quat’Sous, le 28 mai 1968, la première du spectacle entré dans la postérité.
« Ça n’a pas de sens ! Y’a jamais rien qui a été fait là-dessus », ajoute l’artiste. Cinquante-cinq ans après, jour pour jour, Télé-Québec rectifie le tir et s’apprête à diffuser, enfin, un documentaire et un balado consacrés au phénomène qui fit à l’époque couler beaucoup d’encre et marqua les esprits à tout jamais.
Selon Louise Forestier, il est désormais temps de célébrer L’Osstidcho et son quatuor pour faire continuer à faire vivre ce qui s’est passé pendant ces années-là. « La culture québécoise est une culture sans histoire, c’est vrai. T’en reviens pas quand tu vas en Europe et que tu reviens ici, mais, en même temps, elle est à faire et elle est à construire. Parlons-en », affirme celle qui n’a jamais fréquenté la langue de bois.
« En contextualisant une oeuvre, on arrive à mieux comprendre sa portée sociale et, du même souffle, son importance », souligne pour sa part le réalisateur de L’Osstidquoi ? L’Osstidcho !, Louis-Philippe Eno. Avec seulement 15 minutes d’une captation faite par Michel Brault et quelques bandes sonores, retracer l’aventure de ce spectacle qui amalgame humour et musique n’a donc pas été de tout repos. « L’Osstidcho existe toujours dans la mémoire collective et on essaie, avec le film, de la garder », précise-t-il.
Pour ce fait, lui et son équipe — Francis Legault, Frédéric Trudel-Martineau, Claude Larivée et Pascal Bascaron — ont non seulement demandé à Louise Forestier, Mouffe, Robert Charlebois et Yvon Deschamps de déterrer leurs vieux souvenirs, mais ont également interrogé des personnes de différentes générations, comme Adib Alkhalidey, Marie-Christine Blais, Louise Richer, Léa Clermont-Dion, Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, Marcel Sabourin, Michel Rivard et Koriass, afin d’offrir un éventail complet de l’impact du spectacle sur la société québécoise. « On ne voulait pas tomber dans la nostalgie, on voulait que tout le monde ait ce sentiment d’appartenance à cette oeuvre unique », explique Louis-Philippe Eno.
En contextualisant une oeuvre, on arrive à mieux comprendre sa portée sociale et, du même souffle, son importance
Vraiment pas nés pour un petit pain
« Yvon a dit : “Préparez-vous à avaler une grande tasse d’humilité” parce qu’on savait pas pantoute où c’est qu’on s’en allait », se souvient ainsi Louise Forestier. Le soir de la première, personne ne se doutait de ce qui allait arriver les jours et les semaines suivants, et de l’électrochoc collectif qui allait suivre. « On était amis avec Yvon, mais aucun des trois autres ne connaissait la misère dans sa propre ville quand il nous a fait prendre conscience du côté esclave du Québécois né pour un petit pain. C’était sa bataille de nous sortir de la soumission à la religion, aux patrons des grandes usines. C’était gigantesque », dit dans un éclat de voix l’octogénaire. Et de poursuivre : « L’Osstidcho, c’était aussi une défense de la langue. Moi-même, après le spectacle, je me faisais traiter de vulgaire parce que j’écrivais en d’joual. Alors que chez Robert, ils l’admettaient. Chez une fille, c’était ben pire. »
Quant à Louise Forestier et à Mouffe, elles avaient notamment à coeur d’aider les femmes à s’extraire de la peur de leur corps. « C’était quelque chose ! On était les premières à prendre la pilule ! », s’exclame Louise Forestier. Et quand celle-ci dit dans le documentaire que ses copines rentraient chez elle après qu’elle les avait accompagnées, rue Saint-Hubert, pour se faire avorter, « pis qu’elles pétaient des salpingites à mourir quasiment au bout de leur sang », elle sait bien de quoi elle parle. « Le mouvement woke, j’ai connu ça j’avais 20 ans », s’amuse la chanteuse et comédienne.
Avec Simone de Beauvoir et les féministes des années 1960 et 1970 comme maîtresses à penser, Louise Forestier souligne par ailleurs que la tendance était alors de se rassembler. « Ce qui fait la force d’une génération, c’est justement que l’union fait la force. C’est pas nouveau, mais c’est vrai. Pis nous, on l’a faite, cette union-là », dit-elle à propos de L’Osstidcho. Aujourd’hui, celle-ci regrette cependant de voir les plus jeunes se séparer. « On oublie une chose en ce moment : le seul combat, il est écologique. Il faut être ensemble pour le mener », relève l’artiste.
Un exemple pour les jeunes générations
Louise Forestier indique aussi que les choses sont toujours possibles, peu importe le mur devant lequel on se trouve. « Nous autres, ça avait l’air ben le fun, mais c’était très difficile comme époque. Y’a eu la Révolution tranquille, y’a eu la révolution pas tranquille, le FLQ, les droits des Noirs aux États-Unis… Oubliez pas qu’ils nous ont envoyé l’armée en octobre 1970 », mentionne celle pour qui L’Osstidcho est en quelque sorte « la matrice de la chanson véritablement québécoise », entre autres grâce à son poids politique.
Pour Louis-Philippe Eno, un retour sur L’Osstidcho est plus que jamais pertinent, car l’histoire a tendance à se répéter. « C’est ce qui est fascinant. Qu’on parle de libération sexuelle ou d’égalité des sexes, les sujets abordés dans le spectacle sont encore d’actualité », soutient-il. Le réalisateur confie aussi que Louise Forestier, lorsqu’elle parle d’ouverture et de courage, est un modèle pour la jeunesse actuelle. « Elle a quelque chose de très vrai en elle. Avec Mouffe, Robert Charlebois et Yvon Deschamps, ils portaient en eux l’espoir et le portent toujours. »