«Les perles»: telle mère, telle fille

Poète, dramaturge et romancière, Erika Soucy a fourbi ses armes comme scénariste en participant à l’écriture de Léo, série de Fabien Cloutier. Lorsqu’on lui a proposé d’écrire sa propre série, la native de la Côte-Nord, qui connaît bien des femmes ayant eu des enfants avant 20 ans, a alors voulu mettre de l’avant une mère de famille monoparentale aussi forte qu’imparfaite devenue mère à 16 ans. En résulte Les perles, où, en 13 épisodes, elle aborde avec finesse et légèreté des thèmes graves. Et ce, dans une langue authentique.
« C’est la langue de chez nous, nos expressions, nos structures de phrases et parfois même notre accent, explique l’autrice. C’est un choix très assumé. Je ne peux pas parler des gens de chez nous dans un français très pesé ; il fallait y aller à fond. Ce qu’on y entend, ce sont des choses que ma mère, mon père, mes tantes disent. Je pense qu’ils vont se reconnaître. »
Dans Les perles, on fait la connaissance de la flamboyante Stéphanie (Bianca Gervais), qui élève seule ses filles Laurence (Cassandra Latreille), née de père inconnu, et Juliette (Anouk Tanguay), fille de Yoan (Lucien Ratio) — adulescent irresponsable avec qui sa nouvelle blonde, Coralie (Camille Felton), rêve de fonder une famille.
Incarnant à la perfection cette mère qui traverse plusieurs zones de turbulences, Bianca Gervais a su créer avec ses jeunes partenaires de jeu, ses « chums de filles », une telle complicité que chaque scène qu’elle partage avec l’une et l’autre se révèle un moment de grâce.
« Il y a eu beaucoup de travail en amont, des lectures, des répétitions ; on avait aussi un lexique enregistré par Erika pour bien prononcer les expressions, raconte celle qui a commencé à jouer à huit ans. On avait du stock rough à jouer, mais on avait établi qu’on resterait dans le plaisir. Je voulais leur donner ce dont j’aurais eu besoin à leur âge. On a instauré le retour de lunch dansant pour sortir tout le drame. On allait aussi souper ensemble. La relation que vous voyez à l’écran n’est pas fabriquée ; on l’a tissée en amont du tournage et pendant qu’on tournait parce qu’il fallait que Les perles, ça soit solide, vrai et spontané. Et là, on s’en va manger un cornet de crème à glace ! »
Deux solitudes
À défaut de pouvoir compter sur Yoan, Stéphanie peut se tourner vers sa meilleure amie, Cynthia (Sharon Fontaine-Ishpatao, révélée dans Kuessipan, de Myriam Verreault). D’un soutien indéfectible, Cynthia a parfois tendance à trop en faire, ce qui a pour effet de mettre Stéphanie dans le pétrin. À travers ce personnage, Erika Soucy a voulu aborder un pan de la réalité des Autochtones de la Côte-Nord.
« Par chez nous, une Blanche et une Innue meilleures amies, ça n’existe pas. En tout cas, j’en ai jamais vu, se rappelle l’autrice. C’est un statement. C’est deux solitudes. Ça tend à changer, mais il y a encore du chemin à faire. Comme Cynthia, les enfants de la série ont été placés dans des familles allochtones ; c’est le seul contact que j’ai eu avec les Premières Nations pendant mon enfance parce que mes tantes étaient famille d’accueil. C’est donc à travers ce prisme que j’écris sur eux. J’ai développé le personnage de Cynthia avec une amie innue de Mashteuiatsh, qui a suivi un stage d’écriture, assisté à tous nos brainstorms et lu toutes les versions des scénarios. »
Pour transposer à l’écran l’univers d’Erika Soucy, le producteur au contenu Patrick Lowe a fait appel à Hervé Baillargeon, à qui l’on doit les deux premières saisons de l’émouvante série de Simon Boulerice, Six degrés. « Il fallait que ça bouge, révèle le réalisateur, qui a privilégié la caméra épaule par souci de réalisme. Je voulais des moments de cinéma, des moments où ça respire. Il y a des scènes où je disais aux acteurs de bouger comme ils le voulaient pour que ce soit naturel. J’ai vraiment essayé d’épouser l’énergie des comédiens. »
Autour de Stéphanie évoluent des personnages truculents, dont le maire du village (Normand Canac-Marquis) et son assistante, que l’on aimera détester, la redoutable Mme Caron (Chantal Baril). Au fil des épisodes, on découvrira les liens qui unissent Stéphanie au couple que forment Esther (Linda Malo) et Martin (Bruno Marcil), parents d’Antoine (Isaac Brosseau), camarade de Laurence. Sans oublier Donald (Claude Despins), père de Stéphanie.
Seul petit bémol dans cette série au charme irrésistible : certains dialogues sont totalement inaudibles. Problèmes de son ou de diction ? Espérons que l’on saura régler ce problème pour la deuxième saison, déjà en préparation.