«Dead Ringers»: l’origine du mal

Rachel Weisz dans la série Dead Ringers 
Photo: Niko Tavernise Prime Video Rachel Weisz dans la série Dead Ringers 

La première scène du Dead Ringers d’Alice Birch détonne. D’un coup, d’un seul, la scénariste derrière le Lady Macbeth de William Oldroyd, mais aussi la série Normal People et la deuxième saison de Succession, pulvérise le male gaze lors d’un dialogue introductif explosif entre Elliot et Beverly Mantle, les protagonistes, et le client un brin pervers d’un restaurant où elles sont attablées. Entre deux morceaux d’un hamburger dégoulinant, les soeurs Mantle, remarquablement incarnées par Rachel Weisz (La favorite), nous y reviendrons, engloutissent le cliché du fantasme masculin très incestueux d’une partie de sexe à trois — un homme avec des jumelles, bien sûr. « J’adore mettre ma langue dans la bouche et le sexe de ma soeur rien que pour le plaisir des hommes, pour votre plaisir », lance notamment Beverly la pince-sans-rire à ce dernier. Avec Elliot, elles le tournent délicieusement en ridicule mot après mot, facétie après facétie. Et puis, Sweet Dreamsd’Eurythmics retentit, quelques sourires machiavéliques sont esquissés. Que le bal commence.

À la différence du générique du film du même nom de 1988 de David Cronenberg, celui du premier épisode du nouveau Dead Ringers est sans aucun doute plus approprié, trois décennies d’évolution des moeurs ayant, espérons-le, fait leur effet. Aux objets gynécologiques, représentés comme des outils de torture qui relèvent d’un autre temps et d’une image étriquée de la spécialité médicale depuis longtemps dominée par les hommes, succède la miniaturisation d’un centre de naissance ultramoderne dans lequel des femmes prennent soin d’autres femmes au son de la voix d’Annie Lennox. Dès lors, la série s’annonce très contemporaine, à la fois empowering et féministe.

En 2023, Alice Birch balaie du revers de la main la vision passéiste du corps de la femme et ce qui lui a trait qu’avait offerte David Cronenberg. Rappelons qu’il y a 35 ans, le cinéaste torontois choisissait de mettre en scène l’acteur Jeremy Irons (Le mystère von Bülow) pour les rôles d’Elliot et de Beverly Mantle. Dans son long métrage, qui n’en demeure pas moins une référence du genre body horror aujourd’hui encore, ces jumeaux gynécologues à la tête d’une clinique de fertilité échangent leurs expériences médicales à la limite de l’éthique tout comme leurs patientes, qui se transforment souvent en conquêtes amoureuses — un fantasme phallocentré de plus —, le tout sous couvert de faire avancer la science et la condition des femmes. L’une d’entre elles, Claire Niveau, interprétée par la Québécoise Geneviève Bujold (Kamouraska), consulte en raison de difficultés à procréer et reçoit le diagnostic d’un col de l’utérus trifurqué… une « monstruosité » censée à ce propos effrayer les spectateurs à l’époque.

Trente-cinq ans plus tard, plutôt que de chercher à faire peur, les réalités de la maternité et de la féminité sont désormais montrées à l’écran telles quelles, avec les vergetures, le sang des menstruations, les douleurs physiques et psychologiques de l’accouchement et du post-partum, etc., dans un réalisme comparable à la scène de viol du personnage enceinte de Claire Danes de la série Fleishman Is in Trouble. Plus encore, la scénariste de Dead Ringers intègre également au récit les sujets d’actualité que sont les femmes porteuses et le consentement, par exemple. Elle pointe aussi subtilement les dérives des avancées médicales et de la marchandisation de la santé grâce aux captivants rôles secondaires tenus par Jennifer Ehle (Orgueil et préjugés) et Emily Meade (La 42e). On se réjouit par ailleurs d’entendre Beverly Mantle affirmer à maintes reprises que « la grossesse n’est pas une maladie », histoire de remettre un peu plus les choses à leur place.

Cela étant dit, cette relecture de Dead Ringers est malgré tout dépourvue d’un quelconque regard trop moralisateur sur l’oeuvre du réalisateur de Videodrome et Crash. Au contraire, la série conserve certains éléments narratifs et esthétiques qui ont fait le succès du film, comme l’esprit tout aussi tordu qu’à l’origine d’Elliot et de Beverly Mantle. Qu’il soit composé d’hommes ou de femmes, de 1988 ou de 2023, le fameux duo très double trouble entretient une relation malsaine forgée par l’insatiabilité, la paranoïa, les mensonges, les dépendances, la trahison et la luxure. Quant à leur pratique au bloc opératoire, elle s’effectue toujours dans des tenues quasi papales d’un rouge sang glaçant… Mais à défaut de glisser dans le cinéma d’horreur graphique, la création d’Alice Birch se concentre préférablement sur le dédale de l’esprit humain.

Comment enfin ne pas évoquer davantage la performance de Rachel Weisz ? Alors qu’elle joue des jumelles identiques, la comédienne et productrice britanno-américaine impressionne par le raffinement et l’éloquence de son interprétation d’Elliot et de Beverly Mantle. Rachel Weisz passe ainsi d’un humour grinçant à la retenue, de la folie à la défiance avec une maîtrise qui dépasse pour le coup celle de Jeremy Irons. Car, il ne faut pas s’y tromper, c’est bien elle qui s’empare du public et le tient en haleine jusqu’au tout dernier instant de Dead Ringers, l’ultime revirement qui confirme que la série est bien partie pour être l’une des meilleures cette année.

Dead Ringers

★★★★ 1/2

Prime Video

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