Les avocats de l’aide juridique, le dernier rempart

Si le monde judiciaire intimide bien des citoyens, la série «À ma défense» aide à démystifier en partie ce qui s’y passe, à travers les yeux d’avocats de l’aide juridique, un service offert gratuitement, ou moyennant contribution, aux Québécois à faibles revenus.
Photo: Radio-Canada Si le monde judiciaire intimide bien des citoyens, la série «À ma défense» aide à démystifier en partie ce qui s’y passe, à travers les yeux d’avocats de l’aide juridique, un service offert gratuitement, ou moyennant contribution, aux Québécois à faibles revenus.

Un avocat va rencontrer son client, un itinérant accusé de menaces de mort envers un policier, près de sa tente installée dans le stationnement d’un supermarché. Une avocate aide en cour une femme violentée à récupérer son enfant que son ex-conjoint lui a enlevé. Voilà deux exemples de cas bien réels captés par la caméra dans la nouvelle série documentaire À ma défense, qui emmène les téléspectateurs dans les coulisses, fort méconnues, de l’aide juridique au Québec.

L’équipe de la réalisatrice Mélissa Beaudet a eu un accès fort privilégié aux salles de cour, mais aussi à la vie, parfois très dure, des malmenés de la société qui bénéficient de l’aide juridique. « C’est une clientèle courageuse, avec un grand nombre d’embûches dans la vie, qui reste digne et fière », a commenté en conférence de presse Mme Beaudet, bien connue pour d’autres séries se penchant sur des enjeux de société, comme CHSLD au front et 180 jours, respectivement dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Les problèmes qui amènent les gens à consulter des avocats de l’aide juridique, « le plus grand cabinet d’avocats au Québec », sont aussi diversifiés que complexes. Il y en a bien sûr au criminel, après des arrestations pour possession de drogue ou pour violence conjugale, mais d’autres causes sont en matière civile : surtout en droit de la famille, explique l’une des avocates que l’on voit dans la docusérie, Me Justine Lambert-Boulianne, qui travaille au bureau d’aide juridique de l’est de Montréal.

C’est une clientèle courageuse, avec un grand nombre d’embûches dans la vie, qui reste digne et fière.

On la voit écouter avec empathie une femme qui n’a pas vu son fils depuis un mois, car son ex-conjoint est parti avec le bambin. Sans lui dire où. La femme sanglote. L’avocate lui tend une boîte de papiers mouchoirs. On voit aussi Me Benoit Lépine qui félicite et encourage son client, un itinérant accusé d’un vol mineur, pour ses efforts de réhabilitation. La série documentaire permet de mieux comprendre le travail de six de ces avocats, mais aussi de voir leur humanité.

Dans un cubicule de la Cour municipale, une autre scène se déroule en marge de la comparution en cour : Me Lépine tente de convaincre son client d’appeler sa famille afin de renouer avec elle. Il hésite : il n’est pas encore l’homme qu’il voulait être avant de la revoir.

Me Charles Benmouyal sur sa moto tient une grande place dans un épisode lors duquel il passera énormément de temps à calmer son client, un itinérant de 60 ans très agressif qui hurle des insultes à tout vent, pour que l’issue de son procès criminel lui soit la plus favorable possible. Ses clients sont des toxicomanes, des itinérants et des indigents, dit-il à l’écran.

La caméra les suit partout : en salle de cour en présence des juges — rare, car les caméras n’y sont pas admises au quotidien — et lors de rencontres privées, normalement derrière des portes closes. Si le monde judiciaire intimide bien des citoyens, la série aide à démystifier en partie ce qui s’y passe, à travers les yeux de ces avocats de l’aide juridique, un service offert gratuitement, ou moyennant contribution, aux Québécois à faibles revenus.

« Notre rôle est essentiel. Nous sommes des avocats qui travaillons pour la communauté, pour les gens les plus démunis », fait valoir en conférence de presse Me Elfriede Duclervil, qui est à l’aide juridique depuis 20 ans.

Mais leur travail est aussi méconnu. Des gens pensent qu’on est des avocats « de second rang », dit-elle. Vrai, a renchéri Me Lambert-Boulianne : dans un épisode, elle déplore le fait d’être perçus par certains comme des avocats qui « aident du monde sur l’aide sociale à frauder l’aide sociale ».

Enjeux politiques absents

Le rythme de la série facilite la compréhension, mais ne reflète pas la charge de travail essoufflante de ces avocats : avec près de 72 000 demandes d’aide juridique par année au seul bureau de Montréal-Laval, ils ne chôment pas.

La série documentaire n’aborde pas de front les enjeux politiques, comme le financement du système judiciaire, a répondu l’un des deux producteurs Hugo Roberge (avec Amélie Vachon), questionné à ce sujet en conférence de presse. La démarche était de faire un documentaire « d’observation et d’immersion », qui va au-delà de la nouvelle au quotidien, dit-il, estimant que l’on comprend leur charge de travail en visionnant les épisodes.

Les causes sont aussi parfois bouleversantes et éprouvantes. Dans un épisode, la caméra suit Me Duclervil qui représente avec tact un homme qui plaide coupable à une accusation d’agression sexuelle sur un enfant. « Ça prend une carapace », dit-elle.

Des clients sont décédés pendant que la série était filmée. « La rue, c’est la jungle », a laissé tomber Me Lépine, raide, en détournant les yeux.

Malgré ces tragédies, « de voir qu’on fait la différence dans la vie des gens, il y a quelque chose de très gratifiant là-dedans », dit-il devant la caméra.

Aider, « c’est une mission qu’ils se sont donnée », résume la réalisatrice, Mme Beaudet. Avec leurs piles de dossiers, « ils tiennent à bout de bras le système de justice ».

À ma défense

Série documentaire diffusée sur RDI, du 27 au 31 mars, à 20 h

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