«Désobéir. Le choix de Chantale Daigle»: faire œuvre utile

« Qui contrôle le corps des femmes ? » demande l’avocat Daniel Bédard (Éric Robidoux). Voilà la question au cœur de Désobéir. Le choix de Chantale Daigle, série de six épisodes produite par Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault (ALSO productions) retraçant le procès ayant opposé Jean-Guy Tremblay (Antoine Pilon), 25 ans, à Chantale Daigle (Éléonore Loiselle), 21 ans, en août 1989.

Avec cinq saisons de Ruptures à leur actif, les scénaristes Daniel Thibault et Isabelle Pelletier étaient certainement les mieux outillés pour écrire cette histoire ayant défrayé la chronique, et divisé le Québec entre ceux qui sont pour l’avortement et ceux qui sont contre, que porte à l’écran Alexis Durand-Brault (Mégantic).

« L’idée de la série est de Gaëlle d’Ynglemare, rappelle l’autrice. Elle avait fait toute la recherche et était en contact avec les militantes et les soignantes qui avaient accompagné Chantale. Les producteurs ont travaillé dur pour que la série se fasse avec les moyens nécessaires. Quand Alexis et Sophie nous ont approchés, on savait qui c’était… mais je ne savais pas le huitième de l’histoire. J’ai pleuré, j’en avais des frissons en la découvrant. Et ça, c’est toujours bon signe. »

« Quand quelque chose nous interpelle, on se regarde, et là, on s’est regardés en apprenant les détails de l’histoire, confirme l’auteur. Peu de séries ont été faites sur des femmes au Québec, alors qu’il y a un paquet de femmes qui ont changé l’histoire. Si on ne s’y intéresse pas, si on ne transmet pas leur histoire, elles vont être oubliées. »

Après s’être fréquentés de 1988 à 1989, Daigle et Tremblay se séparent après l’annonce de la grossesse de la jeune femme. Bien qu’elle rêve d’avoir quatre enfants, Chantale Daigle ne souhaite pas mettre au monde l’enfant de cet homme manipulateur et violent. Elle envisage ainsi l’avortement, décriminalisé au Québec depuis le 28 janvier 1988. Tremblay demande alors une injonction pour l’empêcher de se faire avorter. Après avoir perdu aux deux premières instances, Daigle se fait avorter à Boston. La Cour suprême tranche ensuite en sa faveur. À l’unanimité.

« Je ne connaissais pas du tout cette histoire, révèle Éléonore Loiselle, qui a l’âge qu’avait Chantale Daigle à l’époque. C’est en passant l’audition que j’en ai appris les détails parce qu’à l’école, on ne parlait pas d’elle, ce qui est vraiment étonnant et choquant. C’est comme si cette femme avait été effacée de l’Histoire. Oui, elle s’est effacée elle-même, mais toute son histoire semble l’avoir été aussi, alors que c’est une femme qui a gravé l’Histoire du Québec, en un certain sens. Faire cette série, c’est une façon de lui rendre hommage, de lui dire merci. »

Héroïne ordinaire

Mère de quatre enfants, Chantale Daigle s’est retirée de la vie publique et vivrait aujourd’hui sous un autre nom. Afin d’obtenir son assentiment, Sophie Lorain lui a écrit une lettre où elle expliquait le projet de la série. Bien qu’elle ait donné son accord, Chantale Daigle a refusé de participer au projet. Les scénaristes n’ont donc pu la contacter. Mais, grâce à tout le matériel dont ils disposaient, ils n’ont pas ressenti le besoin d’entrer en contact avec les acteurs importants de l’époque, tel l’avocat de Chantale Daigle, Daniel Bédard (Éric Robidoux), et ceux de son ex-amoureux, Henri Kélinda (Jean-François Pichette) et David Thomas (Patrick Hivon).

« Le canal de communication, c’était Gaëlle, qui parlait aux militantes et infirmières qui sont restées en contact avec Chantale, dévoile Daniel Thibault. C’est constitutif de la série. Cette femme a été agressée trois fois : par son chum de l’époque, par le système de justice et par l’attention médiatique qu’elle a reçue. Elle ne voulait rien savoir de tout ça. Sans le soutien collectif, sans toutes ces femmes qui l’ont accompagnée à Boston, elle aurait été complètement démunie. C’est l’une des beautés de l’histoire. »

« L’obliger à garder un enfant qu’elle ne voulait pas, c’est aussi une agression en soi, affirme l’actrice. C’était énorme pour une femme de 21 ans ; elle était vulnérable, mais cela faisait partie de sa force. Sa famille a été très présente, et avant-gardiste à sa manière en lui disant qu’il s’agissait de son choix et qu’elle allait la soutenir. Dans son livre, Chantale indique qu’elle ne croit pas qu’elle aurait réussi à traverser ça toute seule. Ce que je retiens de cette lecture, c’est qu’elle était une femme aimante entourée d’amour. »

« Notre fil d’Ariane, c’était le cordon du téléphone pour illustrer cette filiation de femmes, explique Isabelle Pelletier. C’était une fille bien ordinaire, candide, insouciante, l’archétype de Perséphone. Mais, avec le recul, on parle aujourd’hui d’elle comme d’une héroïne qui livre un message que nos filles et nos fils ont besoin d’entendre. Au départ, elle l’a fait pour elle-même, mais après un certain moment, il y a eu comme un déclic. Elle a compris que c’était beaucoup plus grand qu’elle ; c’est ce qu’on a inféré de nos lectures. »

Appel à la vigilance

Bien que les médias en reparlent tous les cinq ans, le combat de Chantale Daigle demeure assez peu connu de ceux qui n’étaient pas nés à l’époque ou qui étaient trop jeunes pour saisir l’ampleur du débat de société qu’il a suscité. Outre l’amnésie collective, serait-ce dû au fait que, pour certains, le droit à l’avortement est solidement acquis ? Pour mémoire, en juin 2022, l’arrêt Roe v. Wade, décision historique rendue par la Cour suprême américaine en 1973 qui donnait le droit de se faire avorter durant le premier trimestre, a été révoqué.

« C’était hyperviolent, cette décision, s’exclame Éléonore Loiselle. Ça m’avait fait du bien de découvrir l’histoire de Chantale, ça m’avait donné un peu d’espoir et de force qui me manquaient en voyant toutes les nouvelles défiler. Je me disais qu’il allait y avoir d’autres Chantale Daigle aux États-Unis. Son histoire, c’est aussi celle de plusieurs femmes. Selon moi, le droit à l’avortement, c’est un non-sujet, et j’ai envie de dire à ces messieurs : “Avancez avec nous !” »

« Le pire là-dedans, c’est que ce n’est pas juste des messieurs : les plus coriaces, ce sont les femmes, dit l’autrice. Ce que je voudrais qu’on retienne de la série, c’est que c’est un appel à la vigilance. Pour Chantale, c’était acquis, car à cette époque-là, au Québec, c’était possible de choisir. »

« Il y avait des forces réactionnaires, mais il n’y avait pas de résistance quand on parlait d’avortement, se souvient Daniel Thibault. Ce qui rend l’histoire encore plus intéressante, c’est que tout d’un coup, bang !, on pouvait reculer. Avec Alexis et Sophie, on s’échangeait des courriels quand les débats sur l’avortement au Texas ont commencé, ça nous pompait ! Chaque fois que les conservateurs sont là, la question du droit à l’avortement se pose. »

Derrière l’envie de raconter ce drame intime ayant pris la dimension d’un drame national, l’auteur ne cache pas qu’il souhaitait que Désobéir. Le choix de Chantale Daigle soit un devoir de mémoire. « C’est une histoire trop importante, il fallait absolument la raconter ». Osons espérer que la série sera aussi une leçon d’histoire qui fera œuvre utile.

Désobéir. Le choix de Chantale Daigle

Crave, dès le mardi 8 mars

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