Moins de 40% des projets de séries télé se prévalent des incitatifs pour intégrer des chansons québécoises
On entend de plus en plus de chansons québécoises dans nos séries télévisées, mais c’est encore trop peu, selon des acteurs de l’industrie musicale. Et ce, même si une enveloppe budgétaire a été dégagée pour permettre aux producteurs d’acheter des pièces québécoises. Deux ans après la mise en place de cette mesure, moins de 40 % des projets télévisés qui y avaient accès s’en sont prévalus.
Dans le cadre de son Programme de bonification des valeurs de production, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) verse une somme allant jusqu’à 150 000 $ pour l’acquisition de droits sur des oeuvres musicales québécoises. C’est ce qui a permis entre autres à Pixcom d’inclure 9 titres québécois dans la deuxième saison de La faille, et 12 autres dans la série Nuit blanche.
Malheureusement, il y a [...] encore cette mentalité que, si on met des chansons québécoises, ça manque d’envergure.
Mais ces productions ne sont pas la norme. Seulement 18 projets télévisés sont allés chercher les sommes sur la table pour intégrer des chansons d’ici. Or, 46 y avaient accès en vertu de ce programme.
« C’est sûr que ça pourrait être plus, mais c’est beaucoup mieux qu’il y a 20 ans. […] Malheureusement, il y a aussi encore cette mentalité que, si on met des chansons québécoises, ça manque d’envergure. Il faut casser ça ! Xavier [Dolan] a quand même réussi à mettre 14 chansons québécoises sur 40 dans sa série, qui est diffusée présentement en France », fait remarquer Lucie Bourgouin, qui a d’ailleurs été superviseuse musicale pour La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.
Beaucoup de chemin parcouru
Les superviseurs musicaux sont ceux qui négocient la libération des droits d’auteur pour les films et les séries, entre autres. Au début de sa carrière, dans les années 1990, Lucie Bourgouin était l’une des seules à exercer ce métier au Québec. L’acquisition d’oeuvres musicales, québécoises de surcroît, était alors marginale. Puis sont arrivés Jean-Marc Vallée et Xavier Dolan, dont la musique occupe une place centrale dans l’oeuvre, ce qui a influencé toute une génération de créateurs.
Depuis, on entend incontestablement plus de titres québécois à la télévision et au cinéma. C’est ce qu’on appelle dans le jargon des « synchros », soit lorsque des chansons sont achetées pour être synchronisées avec des images dans une production.
Les revenus de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) tirés de la « synchro » ont d’ailleurs augmenté en moyenne de 28 % chaque année à partir de 2019. « Étant donné que la grande majorité des oeuvres que nous représentons en synchro et que la majorité de nos clients sont des producteurs québécois, nous pouvons en conclure que l’utilisation d’oeuvres québécoise est en croissance », indique la société de gestion collective de droits d’auteur.
En dépit des améliorations, certains sont d’avis que l’on pourrait faire mieux pour que nos chansons rayonnent à l’écran. « Parfois, je vois des trucs et je me dis que ça aurait été bien meilleur s’il y avait eu de la musique », souligne le superviseur musical Joss Dumas.
À l’instar de sa collègue Lucie Bourgouin, il ne croit pas que ce soit une bonne idée d’imposer des quotas de musique québécoise dans les émissions de télévision et les films. Tout le monde s’entend pour dire que ce ne sont pas toutes les productions qui s’y prêtent. Parfois, mieux vaut ne pas ajouter de musique du tout au montage. D’autres fois, une chanson étrangère est plus à propos, comme dans la satire Complètement lycée, censée se dérouler au fin fond des États-Unis.
Un marché lucratif
Mais Lucie Bourgouin constate qu’encore trop souvent des créateurs ont le réflexe de se tourner vers des chansons en anglais. Or, en règle générale, les pièces québécoises sont bien moins chères que les chansons étrangères, souligne-t-elle. Lorsqu’elle a travaillé sur C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée, par exemple, elle se souvient que la production avait déboursé 112 000 dollars américains pour une chanson des Rolling Stones. A contrario, Mme Bourgouin estime qu’une chanson québécoise dans un générique de fin revient en moyenne à 20 000 $ en tout et pour tout au moment de négocier la licence de diffusion.
« Ça peut être extrêmement lucratif pour les ayants droit québécois que l’une de leurs chansons soit utilisée dans une série. Non seulement au moment où on négocie la licence, mais aussi si ça circule plus tard dans le monde. Je me souviens avoir vu passer des chèques de 50 000 $ pour une série pour enfants dans les années 1990 qui avait été vendue partout dans le monde. Les lois sur le droit d’auteur sont beaucoup plus généreuses en Europe qu’ici », renchérit Lucie Bourgouin, qui observe que l’aide financière mise en place par la SODEC est encore méconnue des producteurs.
Ça peut être extrêmement lucratif pour les ayants droit québécois que l’une de leurs chansons soit utilisée dans une série. Non seulement au moment où on négocie la licence, mais aussi si ça circule plus tard dans le monde.
David Murphy, qui possède une entreprise de gestion de droits, plaide de son côté pour que la mesure soit élargie. Actuellement, les 150 000 $ sont offerts aux projets admissibles au Programme de bonification des valeurs de production. Or, seules les productions qui ont un potentiel d’exploitation à l’étranger ont accès à ce programme. David Murphy pense que plusieurs petits projets, qui n’ont pas de visées à l’étranger, devraient aussi pouvoir être soutenus financièrement pour acheter des oeuvres musicales québécoises.
« Oui, il y a les retombées directes avec la synchro, mais il y a aussi les retombées indirectes. Pour de jeunes artistes, ça peut être une façon de se faire découvrir », note-t-il pour illustrer l’importance d’entendre plus de chansons québécoises au petit écran.