Des survivants appréhendent la nouvelle série «Mégantic»

La nouvelle série Mégantic, qui fera revivre l’accident ferroviaire survenu il y a bientôt dix ans à Lac-Mégantic, ne fait pas l’unanimité parmi les survivants et les proches des victimes. Plusieurs vivent un malaise à voir leur histoire « romancée » et craignent que cette fiction s’impose comme la réalité dans l’esprit des Québécois.
« Je suis mal à l’aise. Ça y ressemble, mais ce n’est pas la vraie histoire. On ne va rien apprendre. Ça ne parle pas des responsables, ni des causes, ni des conséquences. Dix ans plus tard, on le vit encore, ce cauchemar, on en subit encore les conséquences », déplore Robert Bellefleur, porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic.
Il rappelle qu’il y a tout juste deux semaines, Ottawa annonçait la fin des négociations avec les 43 propriétaires de terrains nécessaires à la construction de la voie de contournement de Lac-Mégantic. En décembre, un juge a rejeté trois poursuites intentées contre le Canadien Pacifique (CP), le jugeant non responsable de la tragédie qui a fait 47 morts le 6 juillet 2013.
« C’est un drôle de timing », poursuit Robert Bellefleur. Par curiosité, il a quand même regardé la bande-annonce de la série — diffusée à compter du 9 février sur Club Illico —, mais cela l’a convaincu de ne pas la regarder. « Ça ne semble qu’horreur, souffrance et détresse. Ce n’est pas ça qui va m’aider à cheminer dans mon deuil. »
« Moi, ce qui me tracasse, c’est qu’on affiche une volonté de faire un travail de mémoire, mais on va implanter une histoire romancée, sensationnaliste, dans la tête des gens qui n’ont pas vécu [la tragédie] », renchérit une Méganticoise qui a perdu un enfant dans le drame. La dame a demandé l’anonymat par crainte de subir le jugement d’autres membres de la communauté.
Encore très affectée, elle est incapable pour le moment de regarder ne serait-ce que la bande-annonce de la série. « J’ai peur de tomber dessus à la télé. Je ne suis pas prête », confie-t-elle, ébranlée.
« Moi non plus, si j’avais traversé la tragédie, je ne sais pas si j’aurais envie de voir la série » reconnaît au téléphone le réalisateur, Alexis Durand-Brault. Cette série, précise-t-il, « est dédiée aux gens de Mégantic, mais elle n’est pas faite pour eux ». « Ils ne sont pas obligés de la regarder. C’est pour le reste des Québécois qui ne connaissent peut-être pas l’histoire. […] Il y a un devoir de mémoire, et il faut que ce soit raconté par des gens d’ici. »
Il explique que Mégantic n’a pas la prétention de faire une reconstitution du drame, ni de l’expliquer, mais s’en inspire grandement. La série de huit épisodes repose sur plus d’une quarantaine de témoignages de Méganticois qui ont vécu de près ou de loin l’accident ferroviaire. « La vérité, ce sont les émotions que les gens nous ont données. Je ne fais pas un documentaire. »
Réactions variées
D’autres survivants et proches de victimes s’avouent curieux de découvrir la série, ne voyant pas de problème à ce qu’elle soit fictive. C’est le cas de Jean Clusiault, qui a perdu sa fille de 24 ans. « J’ai tellement cheminé avec le temps. J’ai beaucoup parlé de mon histoire, de l’histoire de Kathy, ça m’a aidé dans mon deuil. Mais je comprends que beaucoup de gens ne sont pas rendus là et que ça va les remuer », dit-il.
« Que ça sorte 10, 15 ou 20 ans plus tard, ça ne change pas grand-chose », estime de son côté Martine Boulet-Pelletier, dont la soeur, Marie-France, est décédée dans l’accident. Selon elle, leur histoire allait inévitablement finir par intéresser le milieu de la télévision ou du cinéma. Elle préfère donc que ce soit une production d’ici qui s’en charge plutôt qu’une « grosse production étrangère, qui aurait manqué de compréhension et de sensibilité ».
Je ne sais pas encore si je vais voir le reste des épisodes. On verra après le premier si j’ai envie de m’y replonger. Est-ce nécessaire ? J’ai encore tout ça dans ma tête et dans mon coeur.
Mme Boulet-Pelletier compte d’ailleurs assister au visionnement du premier épisode, le 6 février prochain, organisé à Mégantic. Les producteurs et réalisateurs Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault ainsi que le scénariste Sylvain Guy seront présents pour répondre aux questions des Méganticois. Des membres de l’équipe de proximité — un groupe d’intervenantes du CIUSSS de l’Estrie — seront aussi sur place.
« Je ne sais pas encore si je vais voir le reste des épisodes. On verra après le premier si j’ai envie de m’y replonger. Est-ce nécessaire ? J’ai encore tout ça dans ma tête et dans mon coeur », confie Martine Boulet-Pelletier.
Chose certaine, l’accompagnement offert par la production, avec l’aide de l’équipe de proximité, l’a rendue plus à l’aise avec le processus.
Accompagnement
En avril 2021, lorsque plusieurs citoyens de Mégantic ont manifesté leur mécontentement d’apprendre la création de la série en même temps que tout le Québec dans les médias, Alexis Durand-Brault a voulu rattraper le coup. « On avait interviewé tellement de monde, on a eu l’impression qu’on avait fait notre travail, que le mot s’était donné, confie-t-il. De mon propre chef, j’ai passé chaque soir au téléphone à écouter les gens de Mégantic et à expliquer notre projet le mois suivant. »
Une première rencontre virtuelle a ensuite eu lieu avec les Méganticois, avec l’encadrement de l’équipe de proximité. Par la suite, ils ont été invités à voir la bande-annonce avant qu’elle ne soit officiellement lancée.
« Ce n’est pas mal de faire une série de fiction, en tout cas, ce n’est pas contre-indiqué dans ce que nous dit la science. L’important, c’est de bien préparer les gens », fait valoir Mélissa Généreux, médecin-conseil à la Direction de santé publique de l’Estrie.
Certains vont avoir des émotions négatives, vivre des symptômes de détresse physique ou psychologique, et vouloir éviter de revivre ce traumatisme. D’autres au contraire, vont vouloir identifier leurs émotions, en parler, et il faut saisir cette occasion.
Les impacts psychosociaux de la tragédie peuvent être très longs, dit-elle, surtout avec l’arrivée d’événements qui remettent de l’huile sur le feu : documentaire, télésérie, commémorations, jugement, etc.
« Certains vont avoir des émotions négatives, vivre des symptômes de détresse physique ou psychologique, et vouloir éviter de revivre ce traumatisme, explique la médecin. D’autres au contraire, vont vouloir identifier leurs émotions, en parler, et il faut saisir cette occasion. »
L’important, poursuit-elle, est de ne pas les laisser seuls avec ces images, espérant qu’ils seront nombreux à se présenter au visionnement du 6 février à Mégantic.