Ciné-cadeau à la croisée des chemins?
Ciné-cadeau célèbre ses 40 ans cette année, forte d’un succès qui se répète chaque temps des Fêtes. Quatre décennies ont passé, mais les Lucky Luke, Tintin et surtout Astérix offrent encore à Télé-Québec ses meilleures cotes d’écoute annuelles. En dépit de cet engouement incontestable, le diffuseur public pourrait cependant devoir faire des choix difficiles dans les prochaines années s’il veut garder à l’horaire ce traditionnel rendez-vous télévisuel.
C’est que la multiplication des plateformes numériques crée une surenchère au moment de renégocier les droits de diffusion des classiques. Dans l’ancien monde, lorsqu’il n’y avait que trois ou quatre chaînes au Québec, le prix des licences avait tendance à baisser plus un film gagnait en âge. Mais avec l’arrivée de concurrents comme Netflix, Amazon ou encore Disney+, la valeur des films les plus convoités grimpe, voire explose. « Il y a des films que l’on tente de renouveler et dont les droits ont triplé, alors que ce sont des films très vieux que l’on diffuse depuis plusieurs années », s’irrite Nadine Dufour, vice-présidente des contenus à Télé-Québec.
Dans ce nouveau marché très compétitif, la société d’État, qui dispose d’un budget très limité par rapport à ses concurrents, est consciente qu’il est dorénavant utopique d’exiger l’exclusivité pour l’ensemble de la programmation de Ciné-cadeau. « On essaie d’avoir l’exclusivité par rapport aux autres acteurs locaux, comme Radio-Canada et TVA. Mais on sait qu’on ne peut pas en demander autant pour Netflix, par exemple », résume Mme Dufour.
Qui plus est, d’importants distributeurs ont été rachetés au cours des dernières années par des géants. Fox, entre autres, a été avalé en 2017 par Disney, qui préfère évidemment garder son catalogue pour sa plateforme, plutôt que de distribuer des licences de diffusion aux chaînes locales.
C’est vrai que l’écoute à la télévision s’effrite, et on ne se sort pas de ça. Mais Ciné-cadeau fait partie des produits de la télévision traditionnelle qui risquent de persister. Justement parce qu’il y a un grand attachement des Québécois à cette marque.
C’est à cause de cette conjoncture que Télé-Québec a dû récemment se départir à regret des droits de l’indémodable Edward aux mains d’argent qui, année après année, ralliait pourtant bon nombre de téléspectateurs durant les Fêtes. Doit-on maintenant s’inquiéter pour la série des Contes pour tous ou encore pour les Astérix, qui forment le noyau dur de Ciné-cadeau ? Nadine Dufour se veut rassurante, sans pour autant faire dans la langue de bois : « On n’en est vraiment pas là, car on sait l’importance de ces films-là pour les téléspectateurs de Ciné-cadeau. On est prêt à mettre l’argent nécessaire, mais je ne cacherai pas que ça crée une pression sur notre budget, qui est limité. On doit faire des choix. Il y a certains films qu’on ne pourra pas renouveler, car les droits sont vraiment faramineux. »
La nostalgie d’abord
Télé-Québec est prête à remuer ciel et terre pour garder la mainmise sur les Astérix et Obélix, de loin la série la plus emblématique de Ciné-cadeau. Bon an mal an, Les douze travaux d’Astérix reste le film le plus populaire de la programmation de Télé-Québec. L’an dernier, ce long métrage d’animation sorti en 1976 a rallié, un 24 décembre, 530 000 spectateurs, permettant au diffuseur public d’enregistrer pour une deuxième année de suite plus de 20 % des parts de marché dans cette case horaire.
Certes, la province était alors plongée dans un énième confinement qui restreignait les grands rassemblements, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de chiffres impressionnants pour Télé-Québec. Selon des données du Centre d’études sur les médias, la chaîne touche en moyenne 3 % des téléspectateurs en temps normal.
Astérix et Cléopâtre, Astérix chez les Bretons ou encore Astérix et les Vikings figurent toujours aussi parmi les plus importantes audiences de la chaîne, ralliant chaque année entre 10 et 15 % de parts de marché. C’est bien davantage que les nouveautés que s’efforce d’ajouter Télé-Québec dans la grille horaire du temps des Fêtes. À l’ère de l’animation 3D dernier cri, ce sont donc des films tirés de bandes dessinées sorties dans les années 1960 et 1970, très datés sur le plan technique, qui demeurent les plus prisés.
« C’est sûr que les techniques d’animation ont beaucoup évolué, mais une bonne histoire, ça reste une bonne histoire. Et quand on parle d’histoire réconfortante, rien n’accote les vieux classiques », souligne Nadine Dufour, qui tient tout de même à préciser que Télé-Québec renouvelle chaque année sa programmation des Fêtes.
Parmi les nouvelles acquisitions, on trouve Mune. Le gardien de la Lune, qui a été primé au TIFF de Toronto, ou encore le film d’animation tchèque Même les souris vont au paradis. « Ça reste que si c’était juste ça, Ciné-cadeau, ça n’aurait sûrement pas le même impact », reconnaît la vice-présidente des contenus de la chaîne.
L’irréductible Gaulois de la télé traditionnelle
Le public de Ciné-cadeau carbure en effet à la nostalgie. D’ailleurs, même si la programmation s’adresse essentiellement aux enfants, nombre de parents et de grands-parents jettent un oeil à Ciné-cadeau. Durant la période des Fêtes l’an dernier, Télé-Québec estime être allée chercher près de 19 % des parts de marché chez les enfants, et presque 15 % chez leurs parents.
Ciné-cadeau s’écoute donc en famille. Mais cette tradition perdurera-t-elle, alors que la télé traditionnelle cède de plus en plus le pas à l’écoute sur demande ? D’autant que la plupart des films phares de la programmation de Ciné-cadeau, comme la Guerre des tuques ou encore les Astérix, sont disponibles gratuitement sur le site de Télé-Québec.
« C’est vrai que l’écoute à la télévision s’effrite, et on ne se sort pas de ça. Mais Ciné-cadeau fait partie des produits de la télévision traditionnelle qui risquent de persister. Justement parce qu’il y a un grand attachement des Québécois à cette marque. Peut-être que dans les prochaines années, il y aura encore plus d’écoutes sur le Web et moins à l’antenne. Mais je suis convaincue que la marque Ciné-cadeau va rester », laisse savoir Nadine Dufour, optimiste pour l’avenir.
L’an dernier, le site Web de Télé-Québec a cumulé plus de 2 millions de visionnements durant le temps des Fêtes, une augmentation de 55 % par rapport à 2020.