«Pour nous chez nous»: vulgariser pour mieux vivrele territoire

Une scène tirée du documentaire «Pour nous chez nous», sur l’autonomie territoriale et alimentaire au Québec
Photo: Télé-Québec Une scène tirée du documentaire «Pour nous chez nous», sur l’autonomie territoriale et alimentaire au Québec

« La financiarisation, ça s’explique ! » prévient François L’Italien, directeur adjoint de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), joint par téléphone. Une des figures centrales de Pour nous chez nous, celui-ci a été impliqué dès la conception du documentaire de Télé-Québec, d’abord afin de cerner le problème de la financiarisation des richesses naturelles, mais aussi, et surtout, pour démystifier face à la caméra, à titre d’expert dans les domaines des forêts, des pêches et de l’agriculture, ce concept économique bien souvent opaque pour le grand public. Selon lui, la vulgarisation de la financiarisation — en l’occurrence la capitalisation et la mise en marché de nos ressources naturelles — est à la portée de tous. « Il n’y a rien de trop technique qui devrait se soustraire à la démocratie, dit-il. Quand on décide collectivement de faire la lumière sur un sujet qui compte, tout devient soudainement transparent. »

À propos de la réalité de l’économie des richesses naturelles, il estime que les Québécois font preuve d’une certaine candeur quant à leur gestion, leur détention et leur valorisation. Pour nous chez nous remet, de fait, les pendules à l’heure. « Dans notre imaginaire, nous pensons que le mot d’ordre “maîtres chez nous” s’applique encore. C’est loin d’être le cas », souligne François L’Italien.  Le directeur adjoint de l’IREC note une contradiction de taille : malgré des sols riches en ressources naturelles, les Québécois en profitent peu, ou pas. « Tout ce potentiel-là permettrait aux communautés d’assurer leur développement, mais les mécanismes économiques et financiers mondialisés en place verrouillent l’exploitation de ce potentiel. »

Si, pour François L’Italien, il est déjà bien plus tard qu’on le pense pour agir, l’optimisme doit toutefois rester de mise. Et le documentaire, aussi alarmant soit-il, est une force de proposition et d’espoir. « Il est très stimulant de savoir que nous disposons, avec les générations futures, d’atouts pour changer la donne sur le plan de la transition écologique et du développement d’un autre modèle économique pour nos richesses naturelles. » Pour illustrer sa vision dans Pour nous chez nous, il part ainsi sur les routes du Québec en quête de discussion avec ceux qui sont en première ligne de ce changement. D’après le réalisateur du film, Dominic Leclerc, créer ces rencontres entre les chercheurs et les personnes sur le terrain est essentiel « pour humaniser les chiffres et le territoire » et faire passer un message clair aux téléspectateurs.

Le Saint-Laurent et la pêche

Colombe St-Pierre, propriétaire du prisé restaurant du Bas-Saint-Laurent Chez Saint-Pierre, est justement de ces Québécois croisés à travers la province. « C’est quelqu’un qui est dans la démarche de goûter le territoire », s’enthousiasme le cinéaste, ravi de la sensibilité de cette dernière aux saveurs propres au Québec. François L’Italien abonde en ce sens. « Colombe St-Pierre est une merveilleuse ambassadrice du modèle de consommation locale », fait-il remarquer. Il croit par ailleurs qu’il est temps de suivre la philosophie de la cheffe à l’échelle nationale et d’habituer la population à se nourrir avec des produits québécois, dans de plus petits volumes. « Nous mangeons beaucoup et à faible coût. Mais avec la crise climatique, il va falloir réviser nos habitudes. Cela commence, par exemple, par se familiariser avec les pêches du Saint-Laurent », indique le chercheur.

Et de poursuivre : « Combien de personnes au Québec ne connaissent le Saint-Laurent que comme un beau paysage ? » Selon François L’Italien, le fleuve, et plus largement les eaux territoriales, serait la métaphore par excellence de notre dépossession du territoire et d’une aliénation collective. Dominic Leclerc renchérit. Il croit que la pêche démontre que la logique financière a pris le dessus, partout. En effet, une donnée frappe lors du visionnage du documentaire et illustre, paradoxalement, la situation qui règne ici : quelque 80 % des produits de la mer québécois sont exportés, alors que 89 % des produits de la mer consommés au Québec sont importés. « Nos entreprises québécoises vendent leur pêche aux marchés étrangers. En même temps, nous avons des poissons et des fruits de mer qui viennent d’ailleurs, avec toute l’aberration écologique que cela suppose », expose François L’Italien.

Mais une capacité d’action existe bel et bien, qu’il s’agisse de pêche ou de tout autre secteur. « Pourquoi ne pas diminuer nos importations et les remplacer par des captures locales ? Cela ne bousculerait pas vraiment nos habitudes », observe l’économiste. Pour lui, plus les Québécois comprendront les mécanismes financiers, plus nous pourrons, enfin, refermer la parenthèse non viable de la mondialisation afin de nous concentrer plutôt sur le local et la complémentarité entre les pays.

Pour nous chez nous

Télé-Québec, le 9 novembre, 20 h

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