Cinéma, télé et été font-ils bon ménage?

Les vacances de la construction ont beau être terminées, les grilles horaires audiovisuelles d’été, elles, n’ont pas encore dit leur dernier mot. À l’ère des plateformes de vidéos sur demande, Le Devoir s’est interrogé sur la grande place du cinéma sur les ondes télé estivales.
Quelques heures après l’annonce de la disparition de l’actrice Olivia Newton-John lundi, Télé-Québec bousculait sa programmation pour présenter Grease, la comédie musicale culte qui l’avait révélée en 1978, samedi prochain à une heure de grande écoute.
Ce film est de ces balises — des classiques du 7e art, local comme international — que la chaîne de télévision publique diffuse tout au long de l’été, à raison de cinq soirées par semaine, et qui lui assurent des cotes d’écoute supérieures à sa moyenne annuelle. En 2021, elle a ainsi vu sa part de marché passer de 3,6 % en moyenne à l’heure de pointe à 4,8 % durant la belle saison.
Nous avons tous besoin de nous faire raconter de bonnes histoires
« Le cinéma apporte une constance en termes d’audience à Télé-Québec », souligne Ian Oliveri, chef de contenus à la Direction des contenus grand public du télédiffuseur. Et d’ajouter : « Avec une programmation linéaire et notre mandat culturel et éducatif, le cinéma est toujours pertinent. Grâce à notre travail de curation très important, nous avons pour objectif de marier la qualité au grand public. »
« Nous avons tous besoin de nous faire raconter de bonnes histoires », croit M. Oliveri, pour qui ce rendez-vous cinématographique estival est une occasion de faire découvrir aux Québécois de bons films, tous genres confondus. « À Télé-Québec, nous proposons une grande variété de longs métrages d’époques très diverses. Dans la même semaine, le public pourra avoir accès à un vieux Sergio Leone, mais aussi à de la science-fiction, à une comédie, à un drame ou encore à un récent thriller québécois. » Les dimanches sont d’ailleurs généralement consacrés aux films d’ici, avec leur notoriété déjà acquise. « L’été, tout comme le temps des Fêtes, est le moment de l’année où nous sortons nos plus gros titres, les films les plus porteurs en termes d’auditoire », précise-t-il.
À Radio-Canada aussi, les films canadiens et québécois sont un gage de meilleures cotes d’écoute. « Dans notre grille d’été, la case cinéma est octroyée en fin de semaine, souvent la soirée du vendredi », explique Dany Meloul, directrice générale de la Télévision de Radio-Canada. Et la plage horaire se porte bien : le diffuseur public est passé de 220 000 téléspectateurs en moyenne les vendredis soir en 2021 à 260 000 cette année. « Au-delà de cette belle amélioration, nous savons que l’écoute se fait particulièrement en direct. Cela nous laisse croire qu’il y a un réel intérêt du public pour ce rendez-vous », affirme-t-elle.
À Radio-Canada comme à Télé-Québec, l’optimisme est donc de mise quant à l’avenir du cinéma sur les ondes.
L’effet rendez-vous
Cet été, Télé-Québec offre notamment à ses téléspectateurs des films québécois comme La grande séduction, de Jean-François Pouliot, Séraphin : un homme et son péché, de Charles Binamé, et Incendies, de Denis Villeneuve. Le coproducteur de ce dernier film, Luc Déry, s’en réjouit : selon le fondateur et président de micro_scope, cette offre télé est un complément essentiel aux salles de cinéma et à la diffusion sur demande, qui permet d’atteindre un maximum de spectateurs.
Dany Meloul partage cette opinion. « Les gens ont pris l’habitude d’aller chercher du contenu quand ils le veulent, mais lorsque nous créons un rendez-vous, les spectateurs sont là. Je pense aussi que la gratuité est un élément décisif », dit la directrice générale de la Télévision de Radio-Canada.
Luc Déry se souvient d’ailleurs qu’Incendies avait réuni près d’un million de personnes lors de sa première diffusion à la télévision en 2014. « Quand on sait que le film avait été un succès retentissant lors de sa sortie en salle, avec un box-office de plus de quatre millions au Québec, c’est une immense satisfaction », raconte le producteur. « Qu’Incendies passe à la télévision encore aujourd’hui permet aux gens de le revoir une deuxième, puis une troisième fois, ce que la profusion de contenu sur les plateformes ne favorise pas. »
Sans compter que la télévision conventionnelle a encore son public, note-t-il. « On ne s’en rend pas forcément compte, mais il y a aussi beaucoup de personnes qui ne sont pas encore sur les Netflix, Crave et compagnie. » Selon un sondage réalisé par l’Académie de la transformation numérique (ATN) de l’Université Laval en janvier 2022, 57 % des Québécois ont déclaré avoir souscrit à Netflix, 16 % à Club illico, 9 % à ICI Tou.tv Extra et 8 % à Crave.
« Les adultes québécois âgés de 18 à 54 ans sont […] les plus nombreux à être abonnés à au moins un service payant pour visionner des films ou des séries sur Internet, tandis que l’abonnement à un service de télévision par câble ou fibre optique est plus populaire chez les adultes âgés de 55 ans et plus », note Bruno Guglielminetti, porte-parole des enquêtes NETendances à l’ATN. Des données qui semblent corroborer les succès d’audience des soirées cinéma estivales de Télé-Québec : lors des printemps-été 2021 et 2022, près de 60 % des téléspectateurs de cette case horaire étaient en effet âgés de plus de 55 ans.
Prendre des risques
Les excellentes performances des grands classiques du cinéma à la télévision donnent aussi l’occasion aux programmateurs de présenter des films dotés d’une signature particulière. « Chien de garde, de Sophie Dupuis, J’ai tué ma mère, de Xavier Dolan, et Le garagiste, de Renée Beaulieu, par exemple, ont leur place à Télé-Québec », affirme Ian Oliveri. « Nous voulons donner le goût du cinéma au public en prenant des risques : l’été rend ça possible. »
Dans cette optique, la télé publique québécoise a ainsi présenté l’audacieux La vie d’Adèle du cinéaste français Abdellatif Kechiche, ainsi qu’Une femme fantastique, dans lequel le réalisateur chilien Sebastián Lelio raconte la vie d’une femme trans — des sources de fierté pour M. Oliveri.
D’un point de vue plus terre à terre, enfin, on ne peut pas non plus ignorer la place des revenus provenant des licences de diffusion télé dans l’équation de la production cinéma québécoise. « Cela garantit un certain revenu aux distributeurs, qui peuvent ensuite le partager avec les producteurs et les investisseurs si les recettes sont suffisantes », explique Luc Déry. Une mécanique qui permet alors de développer de nouveaux projets qui auront ensuite, eux aussi, leur place à la télé estivale.