«Il pleuvait des oiseaux»: la vraie nature de Marie-Desneige

Gilbert Sicotte et Andrée Lachapelle dans le film 
Photo: MK2 Mile-End Gilbert Sicotte et Andrée Lachapelle dans le film 

L’écran de cinéma est-il le miroir de l’âme des cinéastes, ou des spectateurs ? Sans doute un peu des deux, et c’est pourquoi les films révèlent autant de choses sur les valeurs, les tourments et les passions des artisans que sur ceux de la société d’où ils émergent. Dans le cadre de la série estivale En thérapie : le cinéma québécois, Le Devoir donne l’occasion à huit psychologues de se prêter au jeu de la séance thérapeutique, avec pour patient un film d’ici de leur choix. Pour commencer en beauté, Il pleuvait des oiseaux (2019), de Louise Archambault, une adaptation réussie du roman à succès de Jocelyne Saucier.

Peut-on survivre à ses blessures physiques et psychologiques après une grande catastrophe naturelle ou à celles d’une vie entre les quatre murs d’une aile psychiatrique ? Dans Il pleuvait des oiseaux, de Louise Archambault (Familia, Gabrielle, Merci pour tout), la chose est non seulement possible, mais admirablement illustrée à travers les trajectoires de différents personnages qui portent non seulement le poids des années, mais celui des drames et des trahisons qui les ont jalonnées.

Dans une forêt magnifique et face à un lac aux allures de mer d’huile, Charlie (Gilbert Sicotte), Tom (Rémy Girard) et Boychuck (Kenneth Welsh) mènent une existence simple, en marge des tumultes du monde. La mort de Boychuck, celui qui a connu jadis l’horreur de grands feux dévastateurs, brise cet équilibre, et plus encore lorsque Steve (Éric Robidoux), leur pourvoyeur attitré, débarque avec sa tante octogénaire (Andrée Lachapelle) dont lui et sa famille ignoraient jusque-là l’existence, recluse et médicamentée à l’excès. Cette présence féminine bouleverse l’équilibre de ce clan, sans compter celle d’une photographe (Ève Landry) déterminée à faire la lumière sur les mystères entourant Boychuck.

Loin de l’insouciance et de la bonhomie des films de Gilles Carle des années 1970, Il pleuvait des oiseaux présente des hommes et des femmes pour qui la nature est non seulement un refuge, mais une nécessité vitale ; certains ne voudront jamais en sortir, d’autres profiteront de ses nombreux bienfaits tant qu’ils le pourront — car un incendie menace ce coin de paradis. Pour cette première analyse, Le Devoir s’est entretenu avec Christine Grou, psychologue clinicienne, neuropsychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.

Qu’avez-vous ressenti après le visionnement d’Il pleuvait des oiseaux ?

Au début de la projection, je me suis demandé où le film allait nous amener, et je sentais que ça serait à la fois long… et calme. Depuis ce temps, je l’adore, parce qu’il m’a procuré un grand sentiment de zénitude devant la vie de ces trois hommes habitant autour d’un lac. Ces ermites forment une microcommunauté tout en respectant l’espace et le territoire des autres, des écorchés vifs qui ont trouvé là un havre de paix. Je l’avoue : j’aimerais vivre là, et vivre cette vie-là ! Et juste les regarder, ça me fait du bien.

Les médecins prescrivent de plus en plus des expositions à la nature pour soulager leurs patients. Ce film semble leur donner raison.

C’est une illustration parfaite des bienfaits de la nature, dont sur le plan psychologique. Ce mode de vie est extrêmement sain parce que les personnages ne subissent pas de stress, pas de surstimulation, pas d’obligations, pas de désinformation. Ils peuvent compter les uns sur les autres… au besoin. Sinon, ils se foutent la paix ! En plus ils possèdent un chien, le meilleur compagnon au monde, et qui les accompagne jusque dans la mort.

Si Louise Archambault vous avait demandé conseil pour étoffer davantage la psychologie des personnages, auriez-vous accepté ? Et qu’auriez-vous changé ?

J’ai presque envie de vous dire que ça aurait été dommage qu’elle me demande conseil. Rien dans ce film ne m’a dérangé ; au contraire, je l’ai trouvé très apaisant… tout en sachant qu’il est fantasmatique. Il y a des vertus aux fantasmes, car ils nous permettent de vivre ce que l’on aimerait vivre, mais que l’on ne peut pas s’accorder dans la réalité. Comme spectateur, à un certain moment, on s’échappe de notre quotidien, et cela nous procure un bien énorme. La réalité, elle, est beaucoup moins agréable. Par exemple, le personnage de Gilbert Sicotte serait sûrement mort d’un cancer et celui d’Andrée Lachapelle dans un hôpital psychiatrique sans jamais avoir connu le bonheur.

Photo: Adil Boukind Le Devoir La Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

Concernant celle qui décide de se renommer Marie-Desneige pour marquer sa nouvelle vie loin du milieu hospitalier qu’elle a trop longtemps connu, ne trouvez-vous pas sa « guérison » quelque peu idyllique ?

C’est LA partie fantasmatique du film. Pour nous et pour nos proches, nous voudrions tous abandonner les traitements médicaux et être guéris ; malheureusement, ça n’arrive pas souvent de cette manière. Ce personnage a passé sa vie en institution psychiatrique, médicamentée, coupée des siens et du monde. Elle devrait donc être beaucoup plus mésadaptée, mais une fois arrivée dans la forêt, elle affiche un comportement pratiquement normal. On pourrait dire qu’il s’agit d’un rêve éveillé. Même chose pour sa rencontre amoureuse : d’un côté, un ermite, et de l’autre, une personne longtemps en psychiatrie. Les capacités relationnelles ne peuvent pas se développer aussi vite, et c’est comme s’ils avaient toujours vécu ensemble. Cela dit, c’est très beau, car qui n’aime pas les belles histoires d’amour ?

Avez-vous été surprise par la forte complicité des personnages appartenant à deux générations très différentes ?

Il y a un réel intérêt pour connaître, comprendre et être témoin de cette forme de vie au fin fond des bois. Tout le contraire d’un film comme Les invasions barbares, de Denys Arcand, où les conflits intergénérationnels sont très présents, et où la force de l’amitié devient la famille. Ce qui est particulier dans Les invasions barbares, c’est le mépris que chaque génération affiche envers l’autre, et alors que les jeunes sombrent dans la drogue ou le consumérisme. Dans Il pleuvait des oiseaux, non seulement il n’y a pas de mépris, mais les jeunes personnages cherchent à faire l’apologie de cette vie.

Intégrez-vous le cinéma à votre pratique ? Et si oui, est-ce qu’un film comme Il pleuvait des oiseaux y trouverait sa place ?

Les films ne sont pas nécessairement un instrument de travail, mais un complément, un catalyseur générant des émotions. Il peut m’arriver d’en conseiller comme métaphores, car ils reproduisent souvent des scènes de la vie quotidienne, et me permettent de bien illustrer mon propos. D’autant plus que mes patients, qui me racontent beaucoup de choses, vont bien sûr me parler des séries et des films qu’ils ont vus. Une autre de leurs vertus est d’apporter un peu de légèreté dans un contexte souvent chargé sur le plan émotif.

Je prendrais volontiers Il pleuvait des oiseaux pour décrire le développement de l’intimité entre deux personnes vieillissantes, et expliquer que celle-ci peut se tisser de façon harmonieuse même si ces personnes viennent de deux milieux très différents. Pour aborder les relations parents-enfants, les conflits intergénérationnels, la complicité d’un couple séparé ou l’aide médicale à mourir — pour essayer de faire la paix avec cette question délicate —, je recommanderais Les invasions barbares. Et devant une jeune personne en épuisement professionnel, qui travaille quatre fois trop pour satisfaire un patron incapable de reconnaissance, j’opterais pour The Devil Wears Prada !

Il pleuvait des oiseaux, de Louise Archambault, est disponible sur ICI Tou.tv, Illico, YouTube, Vimeo, iTunes, Telus et Crave.

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