Mixmania, les sommets et la chute

À l’occasion des 20 ans du docuréalité, Bianca Gervais a organisé des retrouvailles aux allures de conventum entre les deux groupes créés durant la première édition.
Photo: Eve B Lavoie À l’occasion des 20 ans du docuréalité, Bianca Gervais a organisé des retrouvailles aux allures de conventum entre les deux groupes créés durant la première édition.

En 2002, l’émission Mixmania faisait le pari de transformer de parfaits quidams en de jeunes vedettes de la pop en quelques semaines. Vingt ans plus tard, les membres d’Aucun regret et de Défense urbaine sont de nouveau réunis dans un documentaire sur ce phénomène télévisuel sans précédent qui les a propulsés au sommet aussi vite qu’ils en sont retombés.

« C’est un phénomène que tout le monde a sous-estimé. Mais on ne savait pas à quoi s’attendre, c’était une première dans le monde de la télé et de la musique », fait remarquer en entrevue Bianca Gervais, qui revêt les chapeaux d’animatrice et de réalisatrice du documentaire Mixmania. 20 ans plus tard, diffusé sur Crave dès mercredi. « C’était captivant de voir ces adolescents, qui n’étaient pas toujours bons, qui chantaient faux parfois, se transformer en vedettes sous nos yeux. On s’identifiait à eux, on chantait et dansait avec eux, de notre salon », ajoute celle qui a été une de leurs plus grandes admiratrices à l’époque.

À l’occasion des 20 ans du docuréalité, Bianca Gervais a ainsi organisé des retrouvailles aux allures de conventum entre les deux groupes créés durant la première édition. Six des huit Mix ont répondu positivement à l’invitation : Julie St-Pierre, Ariane Laniel, Annabelle Oliva, Frank Hudon, Emmanuel McEwan et Pierre-Luc Blais. Caroline Marcoux-Gendron et Benjamin Laliberté ont refusé d’y participer.

À travers des images d’archives, des entrevues avec leur nounou, leurs coachs ou encore des journalistes de l’époque, Bianca Gervais les replonge dans le succès fulgurant qu’ils ont vécu. Et à voir leurs réactions à l’écran, ils n’en reviennent toujours pas 20 ans plus tard.

Il faut dire qu’après l’émission, Aucun regret et Défense urbaine ont vendu 250 000 albums, c’est plus que U2 la même année. Ils sont montés 227 fois sur scène en un an et demi, dont quatre fois au Centre Bell et une fois aux FrancoFolies. C’est sans oublier leur légendaire représentation aux Galeries de la Capitale, qui a rassemblé plus de 12 000 Mixmaniaques qui avaient pour certains dormi devant le centre commercial afin de pouvoir chanter Les 5 doigts de la main et Toucher le ciel avec leurs idoles. « Toi et moi jusqu’au sommet, toi et moi, on n’arrêtera jamais ! »


Retomber sur terre


 

La tournée terminée, le retour à la réalité a été plutôt difficile pour les jeunes artistes. Le documentaire se voulant une célébration de l’aventure Mixmania avant tout, ce côté sombre de l’histoire n’est abordé que succinctement.

On voit quand même Annabelle Oliva confier à l’écran s’être sentie « has-been » à 17 ans, parce qu’elle travaillait dans une boutique de vêtements au lieu de poursuivre sa carrière musicale. Julie St-Pierre fond même en larmes lorsque l’animatrice lui demande si elle laisserait ses enfants participer à une telle émission, tiraillée par la question et visiblement marquée par sa propre expérience.

« Être toujours étiquetée comme Julie de Mixmania, c’est difficile à vivre à l’adolescence, une période charnière où on construit sa personnalité », explique Julie St-Pierre en entrevue au Devoir. Celle qui est aujourd’hui animatrice au 107,3 Rouge FM dit voir encore au quotidien des impacts de cette expérience. « Dans ma vie professionnelle, par exemple, j’ai longtemps eu le syndrome de l’imposteur. Je ressentais le besoin de me prouver, de défendre ma place, d’être choisie par les autres. […] C’est encore le cas aujourd’hui. »

Annabelle Oliva raconte également être passée « par des montagnes russes d’émotions » à la fin de la tournée, ressentant même le besoin de s’éloigner des autres Mix. « C’était nécessaire, j’avais besoin de me réapproprier mon identité, de comprendre ce qui s’était passé dans ma vie », explique-t-elle au téléphone.

« Le plus difficile, poursuit-elle, a été de digérer que ça se termine de façon aussi sèche. On était populaires, aimés, et — hop ! — tout s’arrête d’un coup. Je m’expliquais mal pourquoi on ne faisait pas un autre album, une autre tournée. »

Elle regrette d’ailleurs que la production n’ait pas prévu un suivi psychologique pour les participants, comme c’est le cas aujourd’hui dans plusieurs téléréalités. « En même temps, je comprends. C’était la première émission du genre au Québec, on ne pouvait pas savoir qu’on aurait ce besoin au retour à la vie normale. Il y a 20 ans, la santé mentale n’était pas une préoccupation comme aujourd’hui. »

C’est un phénomène que tout le monde a sous-estimé. Mais on ne savait pas à quoi s’attendre, c’était une première dans le monde de la télé et de la musique.

 

Les prémices de la téléréalité

« On testait quelque chose de nouveau à la télé, un concept unique, sans savoir tout ce que ça impliquait », explique Pierre Barrette, spécialiste de la télévision québécoise et directeur de l’École des médias de l’UQAM. À ses yeux, Mixmania a été une émission avant-gardiste et surtout un point de départ de la téléréalité, sans avoir complètement les deux pieds dedans puisque c’était un « docuréalité ».

Rappelons que Star Académie, Loft Story et Occupation double ont fait leur apparition à la télévision québécoise l’année suivante. Sans pouvoir affirmer que ces productions se sont directement inspirées de Mixmania — puisqu’elles sont pour plusieurs des adaptations d’émissions étrangères —, M. Barrette voit de nombreuses ressemblances avec le docuréalité de Vrak.TV.

« On va annoncer aux adolescents chez eux qu’ils ont été sélectionnés. On retrouve ça dans Occupation double. Les jeunes vivent ensemble dans un loft, ça rappelle la cohabitation dans Loft Story. Et, bien sûr, cette idée de dénicher des talents et d’en faire des vedettes, qu’on retrouve dans Star Académie ou La voix », cite-t-il comme autant de parallèles.

À ses yeux, Mixmania rassemblait tous les ingrédients clés que l’on retrouve dans la majorité des téléréalités aujourd’hui : la compétition, la visibilité ou le tremplin offerts à de parfaits quidams, la popularité éphémère des candidats à leur sortie ainsi que l’implication du public.

« Inviter les téléspectateurs à voter sur Internet, leur montrer que leurs choix ont un impact sur ce qu’ils regardent : c’était tout nouveau au début des années 2000, explique M. Barrette. Ça a été une petite révolution dans le milieu de la télé. La preuve en est, des années plus tard, que le concept de téléréalité, qui était voué à disparaître, selon plusieurs à l’époque, est désormais plus présent que jamais. »

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