«Cher Jackie»: Jackie Robinson, la Petite-Bourgogne, le racisme et nous

« Jackie Robinson représente l’espoir. » Dans son documentaire Cher Jackie, Henri Pardo convoque celui qui fut le premier homme noir à briser le plafond de verre de la Ligue majeure de baseball en intégrant les Royaux de Montréal il y a plus de 75 ans. « C’est incroyable ce que Jackie Robinson a fait, mais on se rend vite compte qu’il n’est pas le seul. Les autres, cependant, restent inconnus du grand public », explique le cinéaste. Ivan Livingstone, cet ancien professeur et athlète aujourd’hui retraité, est de ceux-là. Tout comme l’ensemble des personnages qui apparaissent dans le film de Pardo, le résident de la Petite-Bourgogne raconte comment il a dû, lui aussi, surmonter les embûches inhérentes au racisme à travers un récit ponctué par l’histoire de son quartier.
La désintégration du quartier de la Petite-Bourgogne, habité par des communautés afrodescendantes depuis longtemps, va de pair avec le renouvellement urbain engendré par l’Exposition universelle de 1967, notamment avec la construction de l’autoroute Ville-Marie qui s’est achevée en 1972. « Montréal voulait être ouvert et célébrer la différence, mais ce n’est pas vraiment ce qu’on a vu dans la rue avec toutes ces transformations. C’est également ce qu’il s’est passé plus tôt en 1946, lorsque Montréal disait être LA ville pour accueillir Jackie Robinson, souligne Henri Pardo. Nous avons idolâtré Jackie Robinson, mais il était l’exception, car, finalement, les individus qui composent les communautés afrodescendantes ont été laissés de côté. »
Pour le réalisateur, cet exceptionnalisme existe encore, et les enjeux liés au racisme systémique ne font que se déplacer. « Qu’il s’agisse de Jackie Robinson, avec la ségrégation, ou de Barack Obama, et la surreprésentation des afrodescendants dans les prisons, tant aux États-Unis qu’au Canada il ne faut pas l’oublier, personne ne s’attendait à ce qu’ils réussissent. Aujourd’hui, la situation évolue, et on parle d’embourgeoisement », poursuit Henri Pardo. Avec des maisons qui sont vendues à plus de 1 million de dollars au détriment de ses populations historiques, la Petite-Bourgogne n’y échappe évidemment pas.
Des traumatismes à la lumière
Ces pressions sociales, dont le racisme et le déplacement des corps noirs, sont, de fait, omniprésentes. « Les choses ne changent pas, elles sont juste voilées, camouflées, sous l’apparence d’une société post-raciale, que le Canada n’est pas », observe Henri Pardo. Et l’économie tout comme la culture d’exploitation des humains sont encore promises à un avenir radieux, selon lui.
« En tant que cinéaste cependant, je suis moins intéressé par le trauma que par la culture et la vie », confie-t-il enfin. Un propos qui se reflète franchement dans Cher Jackie, avec la résilience à toute épreuve des personnes entendues dans le film. « Les sociétés afrodescendantes nord-américaines ont continué malgré tout à prospérer, à s’entraider et à cultiver leur art. On ne les prend pas toujours au sérieux, mais les artistes sont les observateurs de l’histoire », prévient Henri Pardo.
Une solidarité qui se traduit aussi, dans le cas de la Petite-Bourgogne, avec l’Union United Church (UCC) et à laquelle le documentaire rend hommage pour son rôle central dans le quartier. « Il y a une communauté qui s’est bâtie avec rien et des personnalités qui s’en sont dégagées. L’UCC est vite devenue un pilier pour l’éducation et le partage, au-delà de la religion, avec une place importante accordée aux femmes. C’est très inspirant », relate Henri Pardo. Et il insiste : si ce qu’il raconte dans Cher Jackie ressemble au combat de David contre Goliath, la Petite-Bourgogne ne doit jamais être délaissée.
Un pari réussi
Cher Jackie est un puissant documentaire dans lequel le réalisateur Henri Pardo s’adresse à Jackie Robinson — le premier homme noir à avoir joint la Ligue majeure de baseball, jusqu’alors ségréguée, avec les Royaux de Montréal en 1946 — pour lui raconter la réalité de la communauté noire de la Petite-Bourgogne installée dans ce quartier montréalais qui n’a cessé de se transformer depuis plus de 100 ans. En maîtrise totale du noir et blanc, Henri Pardo parvient ainsi à faire perdre au spectateur toute notion du temps, entremêlant subtilement les époques grâce à des séquences d’archives et des témoignages du présent. Image par image, le film déconstruit ce que serait le mythe d’une société québécoise post-raciale. Et le pari est réussi : à la lumière d’un passé pas si lointain, les intervenants rencontrés, par leur éloquence, leur charisme, leur éclat et leur persévérance, brossent un remarquable portrait de ce que signifient le racisme et les inégalités, voire les injustices, aujourd’hui.
Correction: Contrairement à ce qu'indiquait une version précédente de cet article, l’Union United Church (UCC) n'a pas été démantelée.