«Babysitter»: Amy, une nounou qui vous veut du bien

La vie est plus clémente envers les hommes séduisants et puissants que pour les gars ordinaires. C’est le cas de Cédric (Patrick Hivon), ingénieur dans la jeune quarantaine de belle apparence et propre sur lui, qui ne s’est jamais trop posé de questions sur son comportement envers les femmes… jusqu’au jour où il vole un baiser à la journaliste Chantal Tremblay (Ève Duranceau) en direct à la télé. Alors que ses amis Carlos (Stéphane Moukarzel) et Tessier (Hubert Proulx) se réjouissent de voir le clip « J’t’aime Chantal ! » devenir viral, sa patronne (Nathalie Breuer) n’entend pas à rire.
Cédric apprend à la dure que les temps ont changé et que les petits gestes que l’on croyait innocents sont maintenant jugés répréhensibles. Ayant perdu son emploi, Cédric se heurte à l’indifférence de sa femme Nadine (Monia Chokri), qui doit déjà gérer sa dépression post-partum. Ne pouvant plus fermer l’œil de la nuit depuis la naissance de leur fille, la mère au bord de la crise de nerfs annonce qu’elle retourne au travail.
En discutant avec son frère Jean-Michel (Steve Laplante), journaliste et féministe autoproclamé — méfiez-vous de ceux-là ! —, Cédric entreprend d’écrire une lettre d’excuses à Chantal Tremblay sous la forme d’un livre. Sexist Story, lui suggère comme titre Amy (Nadia Tereszkiewcz), nouvelle nounou apparue comme par magie dans la vie du couple. Grâce à ses contacts dans le milieu, Jean-Michel trouve un éditeur (Patrice Dubois, qui semble tout droit sortir d’un film de Lynch ou de Kubrick), qui flaire tout de suite la bonne affaire.
Créée en 2017, peu de temps avant que le mouvement #MoiAussi ne prenne toute son ampleur dans le monde entier, la pièce Baby-Sitter de Catherine Léger, scénariste de Charlotte a du fun, de Sophie Lorain, passait gentiment au tordeur les rapports de domination, les stéréotypes sexuels et le principe du deux poids, deux mesures. Entre les mains de Monia Chokri, la pièce visionnaire, un tantinet remaniée au goût du jour par la dramaturge elle-même, prend une tournure plus grinçante et plus audacieuse. En grande partie grâce aux choix esthétiques de la cinéaste, lesquels laisseront les uns pantois, les autres ébaubis.
Regards croisés
Porté par des dialogues qui bousculent avec bonheur les stéréotypes sexuels, Babysitter ne laissera personne indifférent par la manière qu’ont choisie Monia Chokri et la directrice photo Josée Deshaies, fidèle complice de Denis Côté (Curling) et de Bertrand Bonnelo (Saint Laurent), de critiquer, voire de ridiculiser, le « male gaze » (regard masculin).
S’inspirant des films érotiques des années 1970 de Just Jaeckin et de David Hamilton, époque des lentilles enduites de vaseline, et des codes du giallo, elles font paraître la babysitter tantôt solaire, tantôt sulfureuse, tantôt fée, tantôt sorcière. Sous le regard médusé de Nadine, Cédric et Jean-Michel, Amy revêtira même un costume de soubrette à faire damner Buñuel. Dans plusieurs scènes, les corps féminins, souvent privés de visage ou de tête, sont morcelés jusqu’à provoquer l’inconfort : ici, une poitrine altière qui couvre la moitié de l’écran ; là, une croupe rebondie en guise de point de fuite.
Beaucoup moins sage que pour son premier long métrage, La femme de mon frère, Monia Chokri se plaît à revisiter le conte de fées, s’éloignant du rose chaste de Disney pour embrasser le rouge canaille des frères Grimm, écrabouillant cette sempiternelle promesse faite aux fillettes gavées d’histoires de princesses, « et ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps », à coups de scènes tour à tour loufoques, coquines et féroces. Avec le risque d’éclipser la finesse de la réflexion de Catherine Léger.
Puis arrive cette poursuite dans une forêt désenchantée, séquence la plus puissante de Babysitter, où les rôles se renversent, où le loup devient la proie vulnérable d’un vorace petit chaperon rouge. À elle seule, la scène justifie toute la fantaisie qu’a voulu apporter Monia Chokri à cette comédie de mœurs au ton décalé, où chacun livre parfaitement sa partition.