«Gabor»: témoigner par les images

L’existence de Gabor Szilasi, comme son œuvre photographique, est traversée par une sincère quête de vie. Les rencontres, l’amitié et la famille cimentent ses 94 ans, le maintiennent debout, l’esprit lucide et serein. « L’amour pour toujours », répond-il, lorsqu’il se fait demander ce qu’il souhaite pour l’avenir.
Dans ce documentaire biographique intitulé Gabor, Joannie Lafrenière (Snowbirds) dresse un portrait empreint de tendresse de ce phare de la photographie québécoise, sans tomber dans le pathos, sans éviter des sujets délicats — les souvenirs de jeunesse refoulés. La cinéaste et directrice photo parvient à reproduire, à travers sa propre démarche colorée et joyeuse, l’attachement qui vibre autour du Montréalais, né en 1928 à Budapest.
À l’écran, il n’est pas rare de voir la réalisatrice et son sujet prendre la pose. Qu’ils simulent la sieste, qu’ils marchent de manière chorégraphique l’un vers l’autre ou qu’ils partent enlacés sur une mobylette ; la connivence transpire l’authenticité. Espiègle semble être leur nature commune.
Si la mise en scène manque de spontanéité lorsque des inconnus sont pris à partie, elle s’offre en écho à la photographie documentaire de Gabor Szilasi. Chez lui, la rencontre et la discussion sont préalables à la prise d’images.
L’homme et son œuvre
Le film est construit selon ce processus. Il débute en Gaspésie, où a eu lieu le premier contact entre la cinéaste et le photographe, en 2015. Il se poursuit à Charlevoix et à L’Isle-aux-Coudres, visités par Szilasi en 1970, et sert de prétexte à montrer ses photos, à parler de sa longue carrière. Le voilà qu’il échange, images à l’appui, avec ceux qu’il a photographiés jadis ou avec leurs descendants.
Tissé ainsi, entre les couleurs explosives de Lafrenière et le noir et blanc magnétique de Szilasi, le film fait découvrir l’homme et son œuvre. À mi-parcours, le spectateur est prêt pour du plus intime : la vieillesse, le travail en chambre noire, le passé hongrois, y compris l’évocation de la mère victime de l’ogre nazi. Gabor Szilasi n’évite pas le sujet, mais l’affronte de biais, par la lecture d’un texte.
« La photographie, dit-il, à un moment, c’est de la poésie. Le cinéma, c’est un roman. » Celui que lui consacre Joannie Lafrenière fait défiler une série de personnages — anonymes, certains sans raison —, dont les proches de l’humble héros : sa femme, sa fille, voire un confrère qui voit en lui un « père spirituel ». Rythmé par leurs témoignages ou par des incursions à des fêtes ou à la séance chez la coiffeuse, le récit montre le principal intéressé dans son environnement, bavard ici, taciturne là. Au bout, ce sont les images qui parlent davantage que les mots. La mémoire chez les Szilasi s’est toujours nourrie visuellement. Ce n’est pas sans raison si le départ des archives du photographe vers le Musée des beaux-arts du Canada sonne la fin d’une histoire. « Soixante-dix ans de photos qui s’en vont », dit, ému, celui qui se souhaite « la santé, la bonne bouffe et une vie heureuse, autant que possible ».