Bruno Blanchet renoue avec ses personnages cultes dans «La mélancolite»

Il y a une quinzaine d’années que Bruno Blanchet a quitté le Québec pour déménager ses pénates — et vivre le grand amour — en Thaïlande. Or, chaque fois qu’il revient au Québec, il ne se passe pas une semaine sans qu’on lui demande de personnifier son « p’tit monsieur pas-de-cou », ou d’appeler un quelconque beau-frère pour lui souhaiter joyeux anniversaire en prenant la voix de « tite dent ».
Bref, si on croyait être les seuls à s’ennuyer du « bon vieux temps », des rendez-vous autour de La fin du monde est à sept heures ou de N’ajustez pas votre sécheuse, et de l’humour complètement décalé qui en a fait des émissions cultes, ce n’est visiblement pas le cas.
Pour offrir un cadeau au fidèle public — et un peu à lui-même —, Bruno Blanchet fait revivre ses célèbres personnages dans La mélancolite, une série Web de 10 épisodes qui sera présentée sur ICI Tou.tv dès le 27 avril.
« Je suis quelqu’un qui aime être en mouvement, qui a besoin de créer de nouvelles choses tout le temps, indique Bruno Blanchet, rencontré en visioconférence en tandem avec le réalisateur de l’émission, Arnaud Bouquet. Il me fallait donc une sapré bonne raison pour revenir à cet univers. On s’est demandé si c’était possible de le ressusciter aujourd’hui, de refléter le monde à travers ces personnages silencieux, mécaniques, qui ne peuvent pas être plus simples sur le plan humoristique. »
C’est Arnaud Bouquet — qui a notamment assuré la réalisation et la scénarisation des Vacances deMonsieur Bruno, où le comédien effectuait un périple mouvementé de 80 jours à travers l’Asie du Sud-Est — qui a eu l’idée de revisiter cet univers. « Je suis arrivé au Québec dans les années 1990 [il est né en France]. J’avais deux colocs québécois qui m’ont convaincu de regarder La fin du monde… Ça m’a tout de suite parlé. On avait là des marginaux de la télévision qui sont devenus cultes malgré eux. C’est quelque chose qui me séduit chez Bruno, d’avoir la chance de côtoyer quelqu’un qui a développé un univers qui touche autant de gens. Avec La mélancolite, on fait quelque chose de complètement différent, tout en gardant la pureté et la simplicité des personnages ; deux éléments qui les ont rendus indémodables, dans la veine de Jacques Tati et de Charlie Chaplin, pour ne pas trop lancer de fleurs à Bruno. »
« Ton chèque est dans la malle », répond le principal intéressé, devant cette avalanche de compliments.
Place à la tendresse
Dans ce nouveau concept, Bruno Blanchet reçoit un appel de son grand ami Guy Jodoin, atteint de la mélancolite ; une grande déprime liée à la nostalgie du passé. Tout était tellement mieux avant ! Guy s’est barricadé dans sa maison, où il passe ses journées à regarder les cassettes VHS de vieux sketchs humoristiques du duo qu’ils formaient ensemble. Pour lui prouver que le présent vaut aussi la peine d’être vécu, Bruno amorce, avec le neveu de Guy, ici interprété par le rappeur FouKi, une course à travers le Québec pour récolter des témoignages d’amour envers son ami. En cours de route, Bruno sera aussi rattrapé par les fantômes de son passé, animés par une grande soif de vengeance.
L’humoriste est bien entouré dans cette nouvelle aventure. Anne-Marie Losique, Guylaine Tremblay, Christian Bégin, Francis Reddy, Marc Labrèche, Georges St-Pierre et plusieurs autres figurent au générique.
« Bruno est extrêmement fédérateur. Tous les gens approchés lors du casting ont accepté l’invitation, ou presque. Je pense que l’univers leur offre un terrain de jeu formidable. Sur le plateau, il y avait vraiment un esprit de troupe. Toutes les idées étaient bienvenues », affirme le réalisateur.
On a donc droit à des raps hilarants imaginés par FouKi, à un Guy Jodoin, les cheveux et la barbe fraîchement teints, désespérément accroché à sa jeunesse — « Je me suis fait pipi dessus quand je l’ai vu arriver sur le plateau », assure Bruno Blanchet — et à quelques improvisations bien placées.
Le résultat est certes désopilant, mais aussi touchant, réfléchi et d’une grande douceur. « Je voulais qu’il y ait beaucoup de tendresse, que ce soit une grande célébration entre amis. Le format nous a permis d’explorer des zones d’ombre, de prendre des risques et de laisser la place aux surprises », souligne Bruno Blanchet.
Les deux amis sont habitués de composer avec les imprévus. Lors du tournage des Voyages de Monsieur Bruno, ils se sont bien souvent retrouvés au dépourvu ; comme cette fois où un épisode autour d’un chef dogon, au Mali, a dû être complètement repensé, sa mort précédant de quelques jours leur arrivée. « Même si on avait un scénario cette fois, on voulait y intégrer cet élément de danger. On a écrit des scènes touchantes et dramatiques, que je n’étais pas certain d’être capable de jouer », poursuit-il.
Tout était mieux avant ?
Plus que jamais, faire de l’humour exige intelligence, sensibilité et érudition ; des qualités qui peuvent s’avérer des freins autant que des moteurs. Qu’en est-il, pour quelqu’un qui a bâti une carrière en faisant ce qu’il n’avait pas vraiment le droit de faire ?
« Je trouve intéressant de me mettre la tête sur le bûcher, pour voir si mon humour survit à la société d’aujourd’hui, répond Bruno Blanchet. La formidable Anne-Marie Losique, en acceptant de se caricaturer elle-même, nous a permis d’explorer ces questionnements. Elle a été d’une grande générosité, tout le monde est tombé amoureux d’elle. »
« On comprend, avec le personnaged’Anne-Marie, que l’humour peut faire rire, mais qu’il peut aussi faire pleurer, renchérit Arnaud Bouquet. Est-ce que ça veut dire qu’il faut arrêter ? Non. Mais il faut réfléchir et adapter la façon dont on le fait, retravailler le muscle pour ne pas tomber dans le piège de la facilité et s’adapter à la nouvelle réalité. »
« Rire, c’est essentiel pour comprendre et assimiler le monde. Comme la lumière, il passe à travers les craques. À Moscou, les spectacles de stand-up cartonnent en ce moment, car c’est l’un des rares lieux d’expression où tu peux encore critiquer Poutine. En Ukraine, le président Zelensky dit souvent qu’il a l’impression d’être Bill Murray dans Le jour de la marmotte, à force de répéter les mêmes demandes aux leaders occidentaux. Il comprend que c’est ce langage qui rejoint les gens », poursuit Bruno Blanchet.
De notre côté de l’océan, La mélancolite apportera à tout le moins un peu de douceur en ces temps troubles, nous remémorant — et réactivant peut-être — des moments passés en famille autour d’un rendez-vous télévisuel. Mais gare à la mélancolie ! Les héritages, ça se transmet. « Si on peut donner envie à un jeune de créer, de repousser ses limites, on pourra dire “mission accomplie” », conclut le comédien.