«Projet Innocence Québec»: l’erreur (judiciaire) est humaine

Des témoins importants jamais appelés à la barre. Des éléments de preuve essentiels volontairement ou négligemment mis de côté. Des délateurs davantage attirés par l’appât du gain que par le besoin de s’amender ou le désir de servir la justice. Tous ces cas de figure ont déjà été vus, et revus, certains corrigés au fil des années, d’autres encore persistants. La justice n’est pas divine : elle est orchestrée et rendue par des êtres humains tout aussi faillibles que les accusés qui défilent jour après jour dans ces palais qui n’ont de « palais » que le nom.
« Le système judiciaire, on essaie de s’en tenir loin, mais il faut comprendre son fonctionnement », affirme Marie-Claude Barrette, animatrice bien connue du réseau TVA pour avoir répondu présente à Deux filles le matin pendant 12 ans, et qui est depuis l’automne dernier à la tête d’une émission portant son prénom. Et si la formule a quelque peu changé après ce passage, les grands principes de l’intervieweuse n’ont pas souffert de la transition : l’empathie, l’écoute et la convivialité sont toujours au rendez-vous.
La personne en face de moi
Ce sont ces qualités qui ont fait le succès de celle qui, jusqu’au début de la quarantaine, était surtout connue comme la conjointe de l’ancien politicien Mario Dumont, lui aussi animateur. Et s’ils exercent maintenant le même métier, Marie-Claude Barrette préfère se tenir loin de l’arène politique et de ses casseroles, guidée surtout par sa passion pour l’être humain. « On m’a souvent demandé qui je rêverais d’interviewer. Mais c’est la personne en face de moi ! Parce que tout le monde est intéressant », souligne celle pour qui une entrevue est à la fois « un plaisir et un privilège ».
Son capital de sympathie bâti au fil des années l’a conduite vers d’autres aventures télévisuelles, comme la série Où es-tu ?, dans laquelle elle remuait les cendres du passé douloureux de proches pleurant encore un être cher disparu dans des circonstances jamais résolues. Projet Innocence Québec n’est pas tout à fait la suite logique, mais cette série documentaire se colle également à l’univers du crime, cette fois du point de vue des avocats, et surtout de quatre victimes d’erreurs judiciaires dont la vie a basculé à tout jamais. Elles aussi auraient voulu se tenir loin de ce système, mais celui-ci leur a mis la main au collet, serrant parfois très fort.
Projet Innocence Québec (PIQ), c’est aussi, et surtout, une initiative qui ne manquera pas d’étonner ceux et celles qui n’en avaient jamais entendu parler jusqu’ici — et Marie-Claude Barrette était du nombre. « Lorsque Marie-Christine Pouliot, productrice chez Attraction Images, m’en a parlé, ça m’a allumé tout de suite, mais ce que je voulais surtout, c’était de faire connaître Lida Sara Nouraie et Nicholas Saint-Jacques, deux avocats criminalistes d’une générosité extraordinaire et d’une intelligence remarquable. Ils m’impressionnent énormément. »
Et elle n’est pas la seule. Car ces deux avocats forment un couple, élèvent leurs trois jeunes enfants, sont associés au Groupe Nouraie, accumulent les prix et les distinctions prestigieuses, mais sont surtout les âmes dirigeantes de PIQ, une organisation offrant gratuitement des services à des accusés qui ont épuisé tous leurs recours et qui sont encore en prison ou en liberté très surveillée. Mais avant de les prendre sous leur aile, le duo fait un important travail de recherche nécessaire pour s’assurer de la validité de leur requête.
« Quand je parle de PIQ, et pour illustrer ce que j’ai vécu en les observant de l’intérieur, j’utilise l’exemple du casse-tête : ils ne savent pas le nombre de morceaux qu’il contient, et encore moins quelle image on verra à la fin », affirme celle qui considère comme essentiel de montrer les failles du système, mais aussi son impérieuse nécessité. Car selon elle, Lida Sara Nouraie, Nicholas Saint-Jacques et tous les étudiants en droit de l’UQAM qui défilent chaque année pour prêter main-forte à PIQ croient profondément en cette institution, et la défendent tout en acceptant ses failles, sans compter que les reconnaître, les corriger « donne encore plus de crédibilité au système ».
À l’ombre d’un doute
La série Projet Innocence Québec fait une large place à ce duo d’avocats, dont la passion et le dévouement feront plus que bien des campagnes publicitaires pour redorer le blason de leur profession. On sent d’ailleurs cette admiration dans le regard des protagonistes que Marie-Claude Barrette et son équipe ont décidé de suivre dans leurs longues pérégrinations vers l’atteinte de leur Graal judiciaire. Car non, les employés de PIQ ne ressemblent pas à une petite armée de justiciers débarquant à la dernière seconde pour sauver les victimes d’une fin tragique. Leur tâche est nettement plus complexe, et passablement moins flamboyante.
Marie-Claude Barrette ne cultivait pas cette vision héroïque, mais fut tout de même surprise par la rigueur de leur approche. « Jamais PIQ ne se pose la question : sont-ils coupables ou pas ? La vraie question est celle-ci : ont-ils eu droit à un procès juste et équitable ? Voilà qui change toute la perspective, et transforme leur travail en véritable enquête. » Celle-ci est colossale devant la masse de documents à éplucher pour trouver le moindre détail qui pourrait aider les avocats à convaincre le Groupe de la révision des condamnations criminelles « d’aller plus loin parce qu’il y a de nouveaux éléments de preuve ».
C’est d’ailleurs ce qu’espèrent Daniel Jolivet et Claude Paquin, deux hommes qui n’ont jamais prétendu être des enfants de chœur, mais qui disent ne pas être des meurtriers. Depuis 25 ans, Jolivet clame son innocence, affirmant qu’il n’est pas l’auteur d’un quadruple meurtre commis en 1992 à Brossard. PIQ l’accompagne dans ses démarches depuis la fondation de l’organisme, au début des années 2000.
« Il commence sa 29e année d’emprisonnement, lui qui avait reçu une sentence de 25 ans, précise Marie-Claude Barrette. J’ignorais que si tu persistes à ne pas reconnaître ton crime après ta sentence, tu ne sors pas de prison, car la Commission des libérations conditionnelles juge que tu es un danger pour la société. » Quant à Paquin, ses mauvaises fréquentations lui ont joué des tours, et un délateur bien payé — dans les années 1980, les enquêteurs ne s’embarrassaient pas trop de la vérité de ceux qui accusaient les autres pour empocher de l’argent… — l’a désigné comme le principal responsable d’un crime sordide. Ses chances de réussite sont minces, sa patience, au bout de sa limite, mais sa reconnaissance envers PIQ, infinie.
L’animatrice ne s’en cache pas : ces échanges l’ont parfois bouleversée. Mais elle souhaite surtout que le vœu de Lida Sara Nouraie et de Nicholas Saint-Jacques se réalise, soit de faire connaître PIQ au plus grand nombre, particulièrement auprès des détenus, mais aussi de leur famille et de leurs proches qui ne les ont pas abandonnés. « Pour moi, PIQ, c’est la justice dans la justice », résume Marie-Claude Barrette.