«Sex and the City» étonne et détonne

La série culte Sex and the City prend de court ses fans avec un retour à l’antenne plus sérieux, plus woke aussi, dans la foulée des mouvements Black Lives Matter et #MeToo. Un changement de ton qui répond au manque criant de diversité que les critiques n’ont cessé de reprocher à la première mouture de la série, diffusée entre 1998 et 2004, dans laquelle quatre trentenaires blanches et privilégiées de Manhattan parlent de sexualité crûment en attendant de tomber sur le prince charmant.
And Just Like That... surprend aussi parce qu’elle n’est pas la catastrophe que plusieurs appréhendaient, après deux longs métrages dérivés au succès très partagé. La nouvelle série épouse certes les codes de l’époque, mais le propos ne se trouve pas trop dénaturé par la rectitude politique en vogue. La rupture de ton est amenée avec une relative finesse, sous le prisme du choc générationnel plutôt que sous celui de la conversion idéologique.
Miranda (Cynthia Nixon), qui fait un retour aux études dans la cinquantaine, est d’ailleurs, lors du premier épisode, mise devant cette nouvelle génération très militante qu’elle croit comprendre, mais avec laquelle elle multiplie les maladresses en pensant bien faire. Avant-gardistes il y a 20 ans, les protagonistes de Sex and the City seraient-elles devenues réactionnaires dans le monde d’aujourd’hui ?
« C’est une série qui a brisé certains tabous par rapport à la sexualité féminine et qui a eu une très grande influence sur la télévision : on n’a qu’à penser à Girls ou à Mohawk Girls. Par contre, on ne peut nier que c’était dans un contexte de grands privilèges, très hétéronormatif.Je trouve ça intéressant parce que dès le premier épisode d’And Just Like That..., on aborde de front ces critiques-là, en ajoutant un personnage noir, une personne non binaire… » indique Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorale au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.
C’est du moins le constat qu’elle dresse après avoir pu visionner jeudi matin les deux premiers épisodes, offerts sur l’application Crave pour les abonnés de HBO Max. Le premier épisode se termine sur une bombe, qui fait prendre un virage aussi dramatique qu’inattendu à la série. Alerte ici aux divulgâcheurs.
Moins loufoque, plus sérieux
Le personnage de Mr. Big (Chris Noth), le mari de Carrie, meurt subitement d’une crise cardiaque après une séance d’entraînement. Comme un rappel brutal qu’il ne sert à rien de courir, le poids des années finit toujours par nous rattraper.
D’aucuns y verront aussi la mise à mort de l’une des plus illustres relations toxiques de l’histoire de la télévision, celle de Mr. Big et de Carrie, qui auront accumulé les ruptures et les réconciliations durant les six saisons de la série originale. Encore une fois, les scénaristes envoient le signal que l’époque a changé.
« J’ai trouvé par contre qu’on n’a pas assez reconnu le côté “relation toxique” des premières saisons, comme on l’a fait pour le manque de diversité. Aux funérailles de Mr. Big, durant le deuxième épisode, tout le monde est triste, mais à peu près personne ne souligne à quel point cette relation était toxique. J’espère que l’on reviendra là-dessus dans le reste de la série. C’est important que les séries populaires ne soient pas juste le miroir de la société. Elles ont aussi une influence sur nos relations », avance Julie Ravary-Pilon, aussi autrice de l’ouvrage Femmes, nation et nature dans le cinéma québécois.
Sex and the City sans sexe
La chroniqueuse et animatrice Geneviève St-Germain, elle, qualifie de « brillant » le décès d’un des principaux personnages de la saga dès le premier épisode. Fan de la première heure de Sex and the City, elle n’a pas été déboussolée par la tangente plus dramatique d’And Just Like That..., bien au contraire.
« À 55 ans, la vie est moins drôle qu’à 30 ou à 40 ans, c’est normal. C’est l’âge où tu te rends compte que la mort fait partie de la vie. Que ton chum peut mourir du jour au lendemain », illustre celle à qui l’on doit l’essai Mon âge est à inventer. Libre propos.
En ce sens, elle n’a pas regretté l’absence du personnage le plus clownesque du quatuor de Sex and the City, Samantha. En conflit depuis plusieurs années avec Sarah Jessica Parker, l’actrice Kim Cattrall avait d’ores et déjà fait savoir qu’elle ne reprendrait pas son rôle dans cette suite. Le conflit entre les deux comédiennes est transposé dans la fiction comme une dispute entre Samantha et Carrie, qui dit d’entrée de jeu regretter amèrement la fin de cette amitié. Un message à peine voilé destiné à Kim Cattrall, qui sera vraisemblablement toujours la bienvenue dans la série.
Sans Samantha, de loin le personnage le plus osé de la bande, And Just Like That... tourne beaucoup moins autour de la sexualité, hormis quelques petits clins d’œil ici et là dans les deux premiers épisodes. Une certaine pudeur qui n’est pas sans déplaire à Geneviève St-Germain.
« Samantha est la plus drôle, mais aussi la plus pathétique, ajoute-t-elle. Ça ne serait pas normal qu’à 60 ans, elle couche avec autant de gars que dans la première série. Beaucoup reprochent d’ailleurs à la nouvelle série de ne pas montrer la sexualité des femmes de cet âge-là. Sauf que la réalité, c’est qu’à cet âge-là, la sexualité prend beaucoup moins de place dans nos vies. On voit mal les trois filles se mettre à parler de leur ménopause aussi ouvertement qu’elles parlaient de cul il y a 20 ans. »