L’animation césarisée du dessinateur Aurel

Lauréat du meilleur film d’animation aux derniers César comme aux Prix du cinéma européen, le formidable Josep, réalisé par Aurel (Aurélien Froment), dessinateur pour Le Monde et Le Canard enchaîné, sort enfin dans nos salles vendredi. À saluer : son immense charge historique et artistique.
Interviewé par Zoom à Paris, son auteur, également documentariste BD et auteur de reportages graphiques, livrait dans ce film son premier long métrage, reçu avec les honneurs. Dès le départ, le Festival de Cannes lui avait offert son label « Sélection officielle » pour l’édition fantôme de 2020. COVID-19 ou pas, son film aura démarré sous de bons auspices.
Josep aborde le destin du dessinateur et caricaturiste Josep Bartolí, né en 1910 à Barcelone. Ce militant gauchiste, exilé en France en 1939 après la guerre civile — à l’instar d’un demi-million d’Espagnols de la Retirada fuyant le franquisme par les Pyrénées —, fut prisonnier dans sept camps français qui parquaient ces migrants dans des conditions honteuses. Bientôt évadé, expédié à Dachau (mais il sauta du train), il s’installa au Mexique, devenant l’intime de Diego Rivera et de Frida Kahlo. Finalement émigré aux États-Unis où il rencontra Pollock et Kooning, l’homme, mort à New York en 1995 trop méconnu, avait un talent, un courage et un tempérament d’exception. Pour lui, le dessin était une arme.
« Il y a une dizaine d’années, j’ai découvert sur le tard le travail de Bartolí, qui m’a impressionné dans tous les sens du terme, explique Aurel. Son passage dans les camps français évoqué par ses dessins brûlants permet de rappeler un épisode occulté. On ne sait rien de ces gens-là, mais certains les ont aidés à s’échapper. Josep les a cités et dessinés. Son univers s’est imposé à moi. »
Du crayon à la lumière
Le dessinateur français craignait de trop se rapprocher du travail de son modèle qu’il admirait. « Il fallait le montrer à l’écran avec mes armes, en différenciant nos deux univers graphiques. Je ne suis pas aussi doué que Bartolí et je n’avais pas de savoir-faire en animation. Il fallait un dessin qui ne soit pas de sa main. Pour la première partie, ma proposition est plutôt celle de la BD : résumer une action dans un dessin. J’ai plongé dans ce monde-là. »
Il s’est basé avec son coscénariste, Jean-Louis Milesi, sur un ouvrage du neveu de Bartolí comportant beaucoup d’inconnues. À partir de faits réels et de témoignages (du neveu, de son ancien compagnon à Barcelone et de sa veuve notamment), extrapolant quant au reste, il a créé le personnage d’un jeune dessinateur contemporain sans conscience sociale. Ce petit-fils d’un gendarme, qui aurait aidé jadis Josep à s’évader d’un camp, allait devenir le passeur du destin de l’artiste collé aux grands drames du XXe siècle. L’histoire de Josep a pris vie aussi notamment à travers les voix de Sergi López, de David Marsais, de Silvia Pérez Cruz.
« Le scénario était complexe et roulait sur plusieurs époques, précise Aurel. Chacune d’elles est déterminée par un style graphique. Dans les camps, il n’y a pas de couleurs. Je me suis inspiré du style de Bartolí, qui dessinait là-bas au crayon. Au Mexique, il a fait des tableaux multicolores. La lumière est apparue, et toute la gamme chromatique. Plus tard, il a laissé tomber le trait et peignait des masses et des couleurs. Mon film se promène ainsi à travers les styles. »
Entre les confinements, Josep a pris l’affiche à l’automne un mois en France, également en Espagne, où il reçut un accueil triomphal. « C’était au-delà de tous mes espoirs. Ce film m’a procuré une grande reconnaissance professionnelle et médiatique », avoue-t-il.
Aurel déclare aller où le vent le pousse. Il possède plusieurs cordes à son arc et ignore encore si sa prochaine œuvre sera une animation ou un roman graphique. Mais son nom brille très fort grâce à Josep, désormais césarisé par-dessus le marché.
D’autant plus que cette aventure d’un exilé espagnol de la guerre civile évoque forcément les hordes de migrants qui frappent aujourd’hui aux portes des pays d’Europe et d’Amérique du Nord, parqués eux aussi. Des parallèles se font dans l’esprit du spectateur, ajoutant à l’actualité du film. Car l’histoire a la fâcheuse tendance à se répéter.
Josep prendra l’affiche le 10 décembre.