«Sans rendez-vous», un rendez-vous télé à ne pas manquer

« Ça se peux-tu que tu aies envie de te rentrer un concombre dans le cul pour avoir un peu de fun un mardi matin ? » C’est ça, Sans rendez-vous. « Découvrir qui on est, ça commence par des choses aussi simples que décider sur quoi on veut s’asseoir pour regarder la télé. » C’est aussi ça, Sans rendez-vous.
Comprendre que l’adaptation très libre de la série Web australienne Sexy Herpes (6 capsules de 10 minutes) porte haut et fort la signature de Marie-Andrée Labbé : l’autrice sait attaquer son sujet de front (la santé mentale dans Trop, la santé sexuelle ici), mais sans perdre de vue l’humain, qu’elle plonge dans des situations pas évidentes.
Réalisée par Patrice Ouimet (Escouade 99, la soirée Mammouth), produite par Fabienne Larouche et Michel Trudeau, la série met en scène le personnel de la clinique de santé sexuelle Lafontaine. Au premier plan, Sarah. Infirmière-sexologue. Depuis six ans en couple avec Maude (Mylène Mackay), une enseignante qui a perdu l’usage de ses jambes.
On rencontre Sarah alors qu’elle revient d’un congé de plusieurs semaines. Elle devait faire le point après qu’une de ses patientes est morte ; elle se juge responsable du décès.
Pour l’incarner, Magalie Lépine-Blondeau, envers qui Marie-Andrée Labbé ne cachait pas son admiration en visioconférence. « On ne fait pas d’éducation dans la série, mais je voulais que Sarah donne de véritables conseils. Elle est compétente. Et Magalie, elle, parvient à rendre certaines répliques plates… pas plates. »
Comme le fait remarquer Fabienne Larouche, Sans rendez-vous — dont les journalistes ont pu voir 5 des 10 épisodes de 30 minutes — n’est donc pas une sitcom. Le « une ligne, un punch » n’est pas de ce rendez-vous-là. C’est l’une des raisons pour lesquelles le tandem de producteurs a pensé à Marie-Andrée Labbé : elle sait jongler avec la comédie et le drame. Sur son clavier, le terme « comédie dramatique » prend tout son sens. Et la distribution de sa nouvelle série rend toutes les nuances du genre.
Autour de Magalie Lépine-Blondeau, Isabelle Vincent joue Dominique, la patronne de la clinique, figure maternelle par excellence malgré ses nombreuses maladresses. Mikhaïl Ahooja devient Lou/Louis-Philippe, réceptionniste qui affiche clairement auprès de tous (sauf de sa blonde) sa personnalité non binaire. Fabiola Nyrva Aladin est Yasmine, une géante au cœur d’or, lumineuse et douce.
Stéphane Crête joue le rôle du D Gagné, quinquagénaire qui s’ignore (à preuve, sa décapotable et ses copines ayant la moitié de son âge). Enfin, Rachid Badouri devient Salim, le concierge fraîchement débarqué de sa Tunisie natale — d’où l’accent que l’humoriste a, pour l’occasion, probablement emprunté à ses parents.
À l’extérieur des murs de la clinique, on retrouve Roxane, travailleuse du sexe interprétée par Anne Casabonne — « qui s’est pliée à toutes les mesures sanitaires », indique Fabienne Larouche, en référence à la récente sortie antivaccin de la comédienne ; Richard L’Arrivée, le psychologue narcissique que Sarah consulte (avec réticence) et que joue un Stéphane Rousseau amusé ; et Mme Sirois qui, à 38 ans, n’a jamais connu l’orgasme et à qui Marie-Ève Beaulieu prête son talent, ses traits… et son corps.
Alors que la plupart des patients ne font que passer par la clinique, cette dernière fait partie des cas qui nourrissent l’arc dramatique d’une série dont les épisodes ne sont pas bouclés. Parce que chaque personnage formant la faune qui habite la clinique possède (au moins) un secret.
Cela permet à Marie-Andrée Labbé de marcher sur ce ton texturé qui est le sien. « On peut aujourd’hui jouer avec différentes émotions, dit-elle. Passer du rire aux larmes, c’est quelque chose que j’aime, je me reconnais là-dedans. Ça ressemble pas mal à ma vie. [Rires.] Je ne boude donc jamais le virage vers une émotion vraie qui ne relève pas de l’humour. Je retrouve ça dans les séries que j’aime, comme Fleabag ou Back to Life. »
L’intimité… à distance
Impossible, en cours de rencontre, de ne pas mentionner la pandémie — à cause de laquelle le tournage de la série a été reporté d’une année. « Les baisers étaient plus problématiques que les cunni », lance l’autrice en pouffant.
Même si, derrière son clavier, la situation sanitaire l’a obligée à trouver « d’autres symboles qui communiquent l’émotion », ajoute le réalisateur Patrice Ouimet, qui a fait face au même problème. Les épisodes visionnés prouvent qu’ils sont parvenus à dompter-contourner la bête.
Visuellement, le résultat ajoute une touche d’humour là où il aurait pu n’y avoir que situation graphique. Or, le but de l’équipe de Sans rendez-vous est à des kilomètres de ça. Il n’a jamais été question de faire une série érotique. On va droit au but ; on montre même parfois le « but ».
Mais le cœur de la série est ailleurs. « Je voulais avant tout parler d’intimité, note Marie-Andrée Labbé. Pour cela, j’ai traité la sexualité comme n’importe quel autre sujet. J’aurais fait une série sur la boulangerie que j’aurais fait mes recherches de la même manière. »
Ses recherches, elle les a effectuées auprès du personnel de la clinique médicale L’Actuel. Pas des recherches de cas — eux viennent de son imagination… et elle en a — , mais des recherches afin de mettre les bons mots dans la bouche de ses personnages. Avec respect. Sans se moquer (des gens), même si rire (de la situation) n’est pas exclu. Bien au contraire.