«Décoloniser l’histoire»: ce qui a été oublié, ce qui a été nié

Composée de dix capsules de six à dix minutes chacune, la nouvelle websérie de Télé-Québec traite de diverses injustices, notamment envers les Premiers Peuples, les Noirs, les Juifs, les Chinois et les femmes. «Bourrés d’informations et d’archives», comme le dit si bien Maïtée Labrecque-Saganash, ces courts épisodes s’attardent à des événements racistes ou sexistes survenus, pour la plupart, au cours du siècle passé.
Photo: Picbois Productions Composée de dix capsules de six à dix minutes chacune, la nouvelle websérie de Télé-Québec traite de diverses injustices, notamment envers les Premiers Peuples, les Noirs, les Juifs, les Chinois et les femmes. «Bourrés d’informations et d’archives», comme le dit si bien Maïtée Labrecque-Saganash, ces courts épisodes s’attardent à des événements racistes ou sexistes survenus, pour la plupart, au cours du siècle passé.

Dès la première capsule, la fougue et l’énergie de Maïtée Labrecque-Saganash transpercent l’écran. Comment pourrait-il en être autrement alors qu’elle parle des milliers de chiens de traîneau abattus par le gouvernement il y a de cela tout juste 50 ans ? Un geste que les autorités avaient jugé défendable et logique, mais dont la capsule animée par la femme originaire de Waswanipi en Eeyou Istcheenous présente une tout autre lecture.

« Ce qu’on demande [aux Québécois], c’est d’élargir leurs perspectives, d’entendre les histoires des autres », raconte Vanessa Destiné, animatrice aux côtés de Youssef Shoufan et de Maïtée Labrecque-Saganash. À son avis, si les gens écoutaient davantage le ressenti des minorités, on pourrait vivre dans des « sociétés post-raciales avec une meilleure compréhension des enjeux ». L’artiste syrien Youssef Shoufan partage ce point de vue, en surenchérissant : « L’écoute, c’est bien, c’est un point de départ pour quelque chose de plus important encore, qui est la discussion. »

Les Québécois sont super "woke" à la base, et ils le sont parce qu’ils sont très conscients de leur histoire, de leur bagage

Composée de dix capsules de six à dix minutes chacune, la nouvelle websérie de Télé-Québec traite de diverses injustices, notamment envers les Premiers Peuples, les Noirs, les Juifs, les Chinois et les femmes. « Bourrés d’informations et d’archives », comme le dit si bien Maïtée, ces courts épisodes s’attardent à des événements racistes ou sexistes survenus, pour la plupart, au cours du siècle passé.

L’actualité a assurément été l’un des critères de sélection des sujets. Il n’y a qu’à penser aux pensionnats autochtones, ou encore au « Jour de l’humiliation », journée où le gouvernement fédéral a décidé de bloquer l’arrivée d’immigrants chinois au pays. Force est d’admettre que cet événement fait écho à la hausse du racisme dont sont victimes les Asiatiques depuis le début de la pandémie.

Volonté d’éduquer sans dénigrer

« C’est ce que moi, j’aurais aimé apprendre quand j’étais à l’école », répond Youssef Shoufan lorsque questionné sur la motivation qui l’a poussé à participer au projet. Pour le réalisateur, aussi photographe et auteur, ce désir d’éduquer les citoyens, spécialement les étudiants, était très fort. Lorsqu’il a appris que son ami, enseignant d’histoire, souhaitait intégrer les capsules dans son cours, il a senti que ce projet avait déjà accompli l’un de ses buts.

Vanessa Destiné ne pourrait être plus d’accord : « On a besoin de cours d’histoire complets et rigoureux qui abordent ces questions-là », faisant ici référence au racisme, au sexisme, à la colonisation, aux problèmes socio-économiques et autres injustices. « On n’a jamais eu autant accès à l’information, c’est le moment de décloisonner l’histoire », ajoute-t-elle.

Photo: Picbois Productions «Ce qu’on demande [aux Québécois], c’est d’élargir leurs perspectives, d’entendre les histoires des autres», raconte Vanessa Destiné.

Pour celle qui a étudié dans de nombreux domaines, dont la coopération internationale, l’histoire et la géopolitique, il est essentiel que les Québécois commencent à poser vers eux le même « regard critique qu’ils ont sur le Canada et sur les Britanniques ». À son avis, cela leur permettrait de « savoir et de comprendre comment eux aussi ont contribué à ce colonialisme. Comment eux aussi ont aidé à bâtir une province sur des inégalités profondes entre les différents citoyens ».

« Les Québécois sont super woke à la base, et ils le sont parce qu’ils sont très conscients de leur histoire, de leur bagage », affirme celle à qui on a souvent accolé cette étiquette. « Quand ils disent “Je me souviens” comme devise… si ça, ce n’est pas être woke, c’est quoi exactement ? » questionne-t-elle en riant, tout en ajoutant qu’à son avis, le Québec est l’une des provinces les plus éveillées du pays en ces matières.

La femme aux origines haïtiennes soulève toutefois ce point important : « Ce n’est pas une série qui est faite pour culpabiliser les gens, c’est une série qui est faite pour combler des lacunes dans l’enseignement de l’histoire. »

Labrecque-Saganash partage cet avis : « On ne fait pas du “Québec bashing”. On mérite d’être entendus. On mérite d’avoir les mêmes tribunes pour nos opinions, pour nos vécus et pour nos ressentis. »

Vivre et revivre ses traumatismes

 

Cette militante possède des raisons encore bien plus personnelles que ses collègues de participer à ce projet. Dans deux des cinq vidéos qu’elle anime, Maïtée Labrecque-Saganash parle de son père ou de sa famille qui ont été victimes de certains drames orchestrés par le Québec et le Canada. Hormis le fait qu’elle offre une représentation de sa communauté à la télévision, la série Décoloniser l’histoire est une occasion pour la chroniqueuse de revivre un peu moins souvent ses traumatismes.

« Pour moi, ça enlève une charge de travail immense de mes épaules », explique Maïtée Labrecque-Saganash. Elle explique qu’en tant qu’Autochtone, elle doit constamment éduquer amis et professeurs, et de ce fait se replonger chaque fois dans ses traumatismes.

Par ailleurs, le travail avec l’équipe derrière ce projet, avec qui elle avait déjà travaillé pour Briser le code, a été sincère, authentique et émouvant, dit-elle. Elle a même découvert des archives de sa famille qu’elle n’avait jamais vues auparavant. Elle explique que ces capsules lui amènent « un peu de paix et de bien-être, parce que je sais que l’histoire de ma famille et l’histoire de ma communauté ne seront pas oubliées ».

Photo: Picbois Productions «C’est ce que moi, j’aurais aimé apprendre quand j’étais à l’école», répond Youssef Shoufan lorsque questionné sur la motivation qui l’a poussé à participer au projet.

Les deux autres animateurs ont également adoré travailler avec l’équipe de Télé-Québec et de Picbois productions. Pour Youssef Shoufan, la réflexion fut quelque peu différente. Il a voulu s’assurer qu’il était légitime pour lui d’animer ces capsules, n’appartenant pas aux communautés dont il parle, soit les Juifs et les Chinois. L’équipe lui a dit qu’il avait été choisi non pas parce qu’il était né à Damas, mais bien pour le travail qu’il réalise quotidiennement, toujours en lien avec les problèmes des communautés marginalisées.

À son avis, il n’est pas « nécessaire de porter le chapeau » pour raconter un récit, d’autant plus que l’histoire nous a appris qu’une seule perspective n’est jamais suffisante. Cela étant dit, il faut faire attention si l’on doit parler d’un aspect que nous ne vivons pas personnellement. Il vaut mieux que plus de gens abordent ces enjeux que pas assez, car « c’est le travail de toute une vie de déconstruire tous les préjugés qu’on a », ajoute Vanessa Destiné.

Lorsqu’on lui a demandé si elle souhaiterait reprendre l’animation pour une seconde saison, cette dernière répond rapidement : « Oui, s’il vous plaît ! Une deuxième, une troisième, let’s go ! Je pense qu’il y a énormément d’histoires à raconter », dit celle qui a déjà des sujets en tête pour de futurs épisodes.

Après tout, « l’histoire s’écrit encore… », ajoute Maïtée Labrecque-Saganash.

Décoloniser l’histoire

En ligne à telequebec.tv, dès le 10 août



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