«Paris police 1900»: le côté sombre de la Belle Époque

Campée en 1899, un an après qu’Émile Zola eut publié dans L’Aurore sa virulente lettre adressée au président de la République Félix Faure J’accuse… !, Paris police 1900 fait revivre un pan peu reluisant de l’histoire de France. D’ailleurs, l’opulente série de huit épisodes produite par Canal+ commence dans le feu de l’action avec une scène funestement célèbre.
Alors qu’il débite des propos antisémites, Faure reçoit de la bouche de sa maîtresse Meg Steinheil (lumineuse Evelyne Brochu) une gâterie qui lui est fatale. « Il voulait être César, il ne fut que Pompée », aurait dit Georges Clemenceau à la suite de ce tête-à-tête dans le Salon bleu de l’Élysée.
Fille de bourgeois née Marguerite Japy, épouse du peintre Adolphe Steinheil (François Raison), Meg compte profiter de ses contacts dans le milieu politique pour se tirer de cette situation embarrassante. C’est ainsi que la courtisane devient « moucharde » pour le comte Puybaraud (Patrick d’Assumçao), chef de la Sûreté qui souhaite faire tomber le préfet Louis Lépine (Marc Barbé), gouverneur général d’Algérie rappelé à Paris pour déjouer l’imminent coup d’État. Le nom de code que Puybaraud donnera à Meg ? Pompe funèbre…
En compagnie de l’élégante espionne, on infiltre les Guérin, famille d’antisémites qui organise des assemblées au cours desquelles le journaliste Jules Guérin (Hubert Delattre), flanqué des bouchers de la Villette, saigne des porcelets pour exprimer sa haine des juifs.
Sombre France
Amalgamant habilement faits historiques, faits divers et pure fiction, Paris police 1900 déploie une intrigue dense dont les multiples ramifications nous entraînent dans les plus hautes sphères du pouvoir jusqu’aux bas-fonds de Paris, en passant par les riches hôtels où les dames de la bonne société tuent le temps en s’adonnant aux paradis artificiels — l’héroïne se vendait à la pharmacie autrefois.
Au cœur de la brigade criminelle, où les commissaires n’ont pas tous des intentions pures, évolue le jeune et droit Antoine Jouin (Jérémie Laheurte), qui se trouve bientôt à enquêter sur le meurtre d’une jeune femme dont le tronc a été trouvé dans une valise flottant sur les flots de la Seine.
Si l’enquêteur Fiersi (Thibaut Évrard) tente de lui mettre des bâtons dans les roues, Jouin trouvera en Jeanne Chauvin (Eugénie Derouand), avocate, traductrice et sympathisante des anarchistes, une solide alliée — et plus si affinités. Eh oui, il faut bien un peu de romance dans l’univers glauque et sanglant qu’a imaginé Fabien Nury, scénariste de bande dessinée aussi à l’aise dans le récit historique (Il était une fois en France, Glénat), la biographie (Charlotte impératrice, Dargaud) que le polar (Silas Corey, Glénat). Et un peu d’humour aussi avec les apparitions du flamboyant criminologue Alphonse Bertillon (Christian Hecq, brillant sociétaire de la Comédie-Française vu dans Lucrèce Borgia au TNM en 2017).
Bleu, blanc, rouge sang
D’une remarquable direction artistique, Paris police 1900 séduit par sa somptueuse direction photo. Alliant magnifiquement les éclairages à la lampe à l’huile et la lumière du jour filtrée par les fenêtres, les directeurs photo Maxime Cointe, Brecht Goyvaerts et Nicolas Petris sculptent de mystérieuses silhouettes et créent des atmosphères gothiques. Dans les scènes extérieures, un ciel de plomb met en relief le Paris d’Hausmann, lui conférant ainsi les airs du Londres victorien.
Alors que l’attention portée aux moindres détails, tant dans les chics salons bourgeois que dans les appartements infestés de rats, ne cesse d’impressionner le spectateur, le traitement réaliste de la violence le saisit à chaque scène. Les combats n’y sont ni spectaculaires ni stylisés, aucun effet de ralenti ou de montage syncopé n’y souligne l’agilité des adversaires. Chaque coup porté laisse entendre le tissu qui se froisse, la chair qui éclate et les os qui craquent.
Certes, le sang coule à flots dans cette réalisation de Julien Despaux, Frédéric Balekdjian et Fabien Nury. La France de la Belle Époque, traumatisée par la débâcle de 1870, déchirée par l’affaire Dreyfuss, y apparaît dans toute sa noirceur et dans toute sa splendeur. Mais ce ne sont pas que les scènes sanglantes qui donnent froid dans le dos, telle celle du petit camelot et son père qui se font battre parce qu’ils vendent L’Aurore.
De fait, les propos tenus par les Guérin et leurs disciples sont d’un esprit crasse, d’un racisme sans nom, d’une haine inexplicable. Reflétant la montée du nationalisme et du populisme ayant gangrené ladite Belle Époque, ces discours fanatiques d’hier ne sont pas sans rappeler, hélas, certains courants de pensée encore bien ancrés aujourd’hui.