Aider le monde, à défaut de le changer

La vision de Martine Forand et de Louis Asselin a dû se mouler à la réalité implacable de la COVID-19, tant sur le plan d’un tournage sanitaire qu’en ce qui concerne la manière d’observer le quotidien du député.
Photo: Adil Boukind Le Devoir La vision de Martine Forand et de Louis Asselin a dû se mouler à la réalité implacable de la COVID-19, tant sur le plan d’un tournage sanitaire qu’en ce qui concerne la manière d’observer le quotidien du député.

Après avoir convaincu les têtes dirigeantes des quatre partis qui siègent à l’Assemblée nationale du Québec de collaborer à la série documentaire Nos élus, la productrice et réalisatrice Martine Forand se croyait victorieuse comme si elle-même avait gagné ses élections. La réalité l’a rattrapée : il lui fallait convaincre les autorités de l’Assemblée nationale de laisser une équipe de tournage circuler librement dans les longs corridors de l’institution, afin d’observer des députés en action.

« À l’Assemblée nationale, on n’arrêtait pas de me dire : “Ça ne s’est jamais fait.” Et moi de leur répondre : “ Je le sais ! Parce que si ça avait été fait, je ne serais pas ici pour vous le demander !” », raconte, amusée, la productrice qui a consacré un an de négociations à rassembler toutes les autorisations nécessaires pour scruter le travail, le quotidien et aussi l’intimité de quelques représentants des partis politiques québécois, dix en tout. Et de tous les horizons.

Or, qu’est-ce qui peut bien unir Joëlle Boutin, jeune députée fraîchement élue de la CAQ, à Véronique Hivon, personnalité bien connue et rassembleuse du Parti québécois, en passant par des politiciens au profil, disons, plus traditionnel, comme André Fortin du PLQ et le ministre Pierre Fitzgibbon de la CAQ ? « Leur humanité », répondent en chœur Martine Forand et Louis Asselin, le réalisateur de Nos élus, qui en connaît déjà un brin sur le sujet, lui qui fut autrefois à la barre d’émissions comme Banc public et, surtout, De garde 24/7 saison 3, celle qui nous a fait découvrir la figure rassurante du Dr François Marquis.

Bien que nous soyons loin des corridors blafards et des urgences engorgées de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, il y a chez ces travailleurs de la démocratie cette même dévotion à vouloir soulager les misères de la population et permettre à la société québécoise de relever tous les défis. La comparaison les a fait sourire, mais le tandem n’avait-il pas l’impression d’avoir trouvé son Dr Marquis en la personne d’Harold LeBel, député de Rimouski pour le Parti québécois ?

Une profession incomprise

 

Sensible, à l’écoute, jamais honteux devant ses larmes, LeBel incarne tout ce que Louis Asselin cherchait. « Nous ne voulions pas de politiciens abrasifs — ça en a éliminé quelques-uns ! —, mais des gens capables de travailler avec les autres partis, de défendre des projets de loi rassembleurs et surtout de parler avec leur cœur et leurs tripes. » C’est d’ailleurs ce député qui a sans doute livré, dès le premier épisode, la définition la plus pertinente du rôle d’un élu : « Essayer d’aider le monde. »

« C’est sa force, souligne Martine Forand. En le voyant, j’aimerais que les téléspectateurs se rendent compte à quel point c’est un travail noble et qu’eux aussi pourraient le faire. » Pancartes électorales à l’appui, le député illustre fièrement le chemin parcouru avec son arrivée à l’Assemblée nationale : trois campagnes électorales avant de remporter la quatrième.

On ne cesse de dire que la société québécoise est de plus en plus diversifiée, « et ça doit aussi se refléter à l’Assemblée nationale », affirme Louis Asselin. Sans faire ombrage aux autres formations politiques, les trois représentants de Québec solidaire dans Nos élus, soit Gabriel Nadeau-Dubois, Ruba Ghazal et Émilise Lessard-Therrien, tranchent par leur jeunesse, parfois leurs origines familiales, leur statut de jeunes parents, etc.

Nous ne voulions pas de politiciens abrasifs — ça en a éliminé quelques-uns ! —, mais des gens capables de travailler avec les autres partis, de défendre des projets de loi rassembleurs et surtout de parler avec leur coeur et leurs tripes

 

D’ailleurs, la conciliation travail-famille, on en parle beaucoup, mais dans cette série, plusieurs protagonistes nous font découvrir que le principe a encore du chemin à faire avant de se rendre à ce lieu de pouvoir. Même le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, n’a pas toutes les réponses à ce sujet et, dans une scène percutante, il découvre ce qu’il en coûte d’aller à la rencontre de citoyens à bout de souffle, peu rompus à l’art de la diplomatie.

Cette scène illustre aussi les exigences d’une profession qui est double (parlementaire et député de circonscription), parfois triple (ministre), aux horaires (très) variables, constamment sous le feu nourri des critiques, particulièrement virulentes sur les réseaux sociaux. Et dont plusieurs reflètent une méconnaissance, voire une ignorance crasse, du rôle des élus.

Faire tomber le cynisme

 

Martine Forand est particulièrement bien placée pour témoigner des dommages collatéraux de l’engagement politique, elle dont le conjoint, Bernard Drainville, fut autrefois ministre dans le gouvernement de Pauline Marois. « J’ai tout entendu, précise celle qui ne fait pas de politique, mais de la télévision. Ça me troublait, et quand mes enfants entendaient tout ça, ça me troublait encore plus. » On peut d’ailleurs la voir dans l’excellent documentaire de Karina Marceau, La politique n’est pas un jeu d’enfants (2015), sur les répercussions sociales et psychologiques de la carrière politique des parents sur leur progéniture.

D’où la nécessité pour elle d’éclairer maints aspects trop peu connus du travail de député, « des gens qui, dans la très vaste majorité, sont là pour les bonnes raisons », dit-elle sans hésitation. Un objectif que partageait Louis Asselin. « Nous voulons faire tomber le cynisme à l’égard de la politique, qui n’est pas que de la confrontation ou des chicanes. » Même si parfois le débat parlementaire peut se transformer en joute, en lutte, en quelques minutes d’attaques parfois mesquines qui feront plus tard les manchettes.

La vision de Louis Asselin et de Martin Forand a dû se mouler à la réalité implacable de la COVID-19, tant sur le plan d’un tournage sanitaire qu’en ce qui concerne la manière d’observer le quotidien du député. « Cette situation nous a permis de creuser le travail dans les circonscriptions, parce que les travaux à l’Assemblée étaient suspendus, reconnaît le réalisateur. En première ligne pour répondre à un million de questions, ils n’avaient pas souvent les réponses ! Mais ils étaient là pour relayer au gouvernement les préoccupations des citoyens. »

Cette situation exceptionnelle, telle qu’illustrée dans cette série, montre des députés qui ne peuvent vraiment pas changer le monde, mais qui font tout ce qu’ils peuvent pour le sauver.

Nos élus

Série documentaire en quatre épisodes, Télé-Québec, dès le jeudi 19 novembre, 20 h, et à telequebec.tv