«La dump»: c’est aussi ça la vie?

« Ben voyons ! Tout le monde vire fou avec leur apparence, mais personne est choqué qu’on vive din’ déchets », s’exclame Cuillère, archétype de l’enfant trop intelligent pour la famille de demeurés dans laquelle il est né, comme il en existe dans presque toutes les familles drôles du petit écran depuis Lisa Simpson. L’observation, douloureusement lucide, surgit alors que ses parents magasinent une coûteuse chirurgie esthétique sans se soucier de l’indigence crasseuse dans laquelle leur progéniture grandit.
Différence majeure entre ce garçon au prénom d’ustensile et la fille la plus intelligente de Springfield : Cuillère n’est pas le personnage d’un dessin animé, mais d’une série de marionnettes ! Campé dans les égouts de Montréal, La dump contient, comme le signale la mise en garde, « des mots grivois, des références douteuses et parfois de la nudité de marionnette. Évitez ce contenu si vous avez un pacemaker, êtes épileptiques ou juste baby-boomers ». Un avertissement exagérément alarmiste, compte tenu du ton certes provocant, mais vraiment pas séditieux, de cette websérie imaginée par l’humoriste Maude Morissette (qui signe les textes en collaboration avec Justine Philie, Michel Sigouin et Simon Delisle).
Au cœur de ce village aménagé sous ce que cachent les trous d’hommes, Barbe et Belle (un Viking défraîchi et son épouse, une reine de beauté ayant connu de meilleurs jours) tentent tant bien que mal d’élever leurs enfants adoptés (Cuillère et Spatule, un ado non binaire affligé de cette calamité hormonale qu’est une moustache molle). Les deux pires parents des sous-terrains tentent aussi de décrypter les quelques éléments d’une société en transformation qui leur parviennent. Chacun des douze épisodes de neuf minutes se déroule ainsi sous l’égide d’un thème (plus ou moins) délicat : armes à feu, vieillissement de la population ou identités de genre.
Satire d’un milieu pauvre et peu éduqué, La dump a la rare intelligence de moins se moquer des gens pauvres que du système les maintenant dans cette pauvreté. Un point de vue rappelant bien sûr la série américaine South Park, où la bêtise des personnages n’arrive jamais à la cheville de celle de notre monde et où la grossièreté n’est toujours qu’une réplique à la voracité d’un univers médiatique réduisant des questions complexes à quelques phrases choc.
Kévin, le lecteur de nouvelles au nez enfariné à qui Olivier Martineau offre (glorieusement) son énergie forcenée, exacerbe tous les travers de ces chaînes d’info en continu où tout va toujours trop vite (comme dans un badtrip de cocaïne). Très éprise de son impression d’être irrévérencieuse (sans l’être toujours vraiment), La dump peine cependant souvent à trouver le bon dosage entre la salutaire vulgarité et la critique sociale acérée.
Les Bougon de François Avard et Jean-François Mercier auraient sans doute reconnu en Belle et Barbe des cousins de pensée et d’hygiène négligée, bien que là où Paul et Tita savaient toujours très bien qui tirent les ficelles (!), leurs pendants aux yeux en balles de ping-pong, eux, demeurent englués dans leur crédulité et dans leur ignorance. Un dépotoir peut tenir du paradis lorsque l’on ne sait pas qu’il existe mieux.