«Faites des fesses, pas la guerre»

Avec ce portrait complexe et captivant de ce… phénomène, qu’est Dr. Miami, le réalisateur québécois voulait sonder l’idée de la représentation perpétuelle de soi.
Photo: CBC Avec ce portrait complexe et captivant de ce… phénomène, qu’est Dr. Miami, le réalisateur québécois voulait sonder l’idée de la représentation perpétuelle de soi.

« Je m’inscris dans la culture telle qu’elle est. Pas telle que j’aimerais qu’elle soit. » Assis sur son trône doré, drapé de velours rouge, « Dr. Miami » expose sa vision de la chirurgie esthétique. Le cinéaste québécois Jean-Simon Chartier sonde aussi ses motivations. Ses valeurs. Son enfance. Ses croyances.

Le vrai nom de ce médecin vedette, c’est Michael Salzhauer. Mais de multiples rappeurs utilisent son surnom. Il énumère : Rick Ross, Snoop Dogg, 2Chainz. D’où le nom du documentaire : They Call Me Dr. Miami. Ils m’appellent ainsi. Eux, les idoles du hip-hop. Eux, les centaines de milliers d’abonnés qui le suivent sur son compte Snapchat, @therealdrmiami. Là où il diffuse en direct des augmentations mammaires, des rhinoplasties.

Fils d’immigrants ukrainiens, Dr. Miami, 48 ans, est un juif orthodoxe, marié à une femme qui n’approuve pas toutes ses décisions professionnelles (« Mais c’est le business »). Il est aussi un fier père, étonnamment réfléchi, généreux de son temps et drôle. Vraiment drôle. « Il pourrait aller à Saturday Night Live demain matin », remarque Jean-Simon Chartier.

Son humour, comme son amour de la médecine, le chirurgien l’a développé en regardant le feuilleton M.A.S.H. « Je n’ai jamais réalisé, gamin, que c’était de la fiction, nous raconte Dr. Miami au téléphone. Je pensais que c’était ça, la guerre. Des gens qui rigolent. » C’est peut-être à cela que fait aussi référence son slogan : « Make butts, not war. »

Car c’est pour ces fesses qu’il est renommé. Le Brazilian Butt Lift, ou BBL, une intervention qui a connu une explosion de popularité dans la dernière décennie. Entraînant une vague de décès, notamment causée par des chirurgiens non certifiés qui opèrent au rabais. Mais dans la clinique de Dr. Miami, où on facture 7000 dollars américains pour une telle intervention, « personne n’est jamais mort ».

La valse des opérations

 

C’est en tournant le film Corps à la carte, diffusé en 2018 à Doc Humanité, que Jean-Simon Chartier a rencontré ce… phénomène. « Il représentait cette idée de la chirurgie esthétique que l’on montre de manière frontale. » Intrigué, le réalisateur l’a recontacté en lui proposant de réaliser un long métrage axé uniquement sur lui. « Parfait. Dis-moi quand tu seras là », a rétorqué le principal intéressé. « Ma réponse par défaut à tout dans la vie, c’est oui », nous lance Dr. Miami.

On pourrait croire que le résultat final le mettrait un peu mal à l’aise. Après tout, son épouse y dit qu’il est vaniteux, complexé par sa taille. Sa fille, d’une grande sagesse, y confie à quel point elle juge le métier de son père incompatible avec sa foi.

Jean-Simon Chartier présente également un chirurgien concurrent qui démolit les méthodes du protagoniste. « Pffft. Vous ne me verrez jamais, MOI, faire une danse dans ma salle d’opération », dit-il. Dans le plan suivant, on voit Michael Salzhauer effectuer une chorégraphie déchaînée vêtu de sa blouse.

Ça ne l’a pas dérangé ? « Du tout ! J’aime qu’on ait une vue d’ensemble de ma personne. J’espère que mes petits-enfants vont le voir un jour et dire wow, quel grand-père intéressant nous avons eu. » C’est vrai qu’il est intéressant. Même si ses méthodes peuvent déranger, voire révulser. « Tout le monde a sa sorte de crème glacée préférée, nous lance-t-il. Je sais que je ne suis pas celle de bien de gens. »

« This is America »

Il aurait été facile d’offrir un portrait caricatural de cet homme qui recrée des scènes de Game of Thrones avec ses employés costumés, et récite des dialogues niaiseux (« Votre poitrine est plus grande que celle qui est décrite dans les livres, Madame. » « C’est pour me tenir au chaud durant les longs mois d’hiver glacial, Messire. ») Mais Jean-Simon Chartier est allé plus loin. Creusant au cœur de cet être rempli de contradictions qu’il assume. Auxquelles il tente, du moins, de trouver une explication. « This is America ! » lance-t-il par exemple en salle d’opération.

Une phrase tout sauf anodine, estime Jean-Simon Chartier. « Souvent, ce qui se passe aux États-Unis, c’est un bon indice de ce qui s’en vient au Canada. Cinq, huit, des fois dix ans après. Et la pop culture traverse la frontière encore plus rapidement. »

Comme le démontre le cinéaste, chasser les tendances avec autant d’ardeur que le fait Dr. Miami est assorti d’une grande solitude. Un plan fantastique le montre recevant une immense boîte remplie de balles de plastique colorées. L’air presque exténué, il les regarde. Quelques secondes plus tard, on le voit couché, inconfortablement, dans un récipient géant rempli desdites balles. « Pour rester pertinent, il faut rester moderne », explique-t-il.

Est-ce parfois… éreintant ? « C’est épuisant. Mais également gratifiant, rétorque le chirurgien. Quand on reste à jour, on tisse des liens avec autrui. Prenez mes enfants. Mon fils de 11 ans capote sur Tik Tok. Mon ado de 15 ans, sur la NBA. Si je ne faisais pas l’effort de creuser leurs intérêts, on n’aurait pas moyen de communiquer. »

Question communication, sent-il que son métier est mieux compris aujourd’hui ? « Beaucoup mieux qu’il y a quinze ans. Grâce à des séries comme Botched ou Nip/Tuck. Mais surtout grâce aux réseaux sociaux aussi. C’est différent de quand j’ai sorti mon livre pour enfants et que les gens ont fait “QUOI ?”. » (En effet, en 2008, Michael Salzhauer a signé My Beautiful Mommy, dans lequel il expliquait aux petits pourquoi, par exemple, le nez de maman était soudain différent. Le livre a été critiqué pour son sujet, mais son utilité a également été soulignée, notamment par The Atlantic.)

Dr. Miami est catégorique : « Nous vivons au moment et à l’endroit où Dieu et la nature nous ont placés. Peut-être que ce serait mieux dans le fin fond des bois ou dans les années 1800. Mais je ne vais pas lever le nez sur mon époque et attendre que quelque chose de meilleur advienne. »

C’est un peu la même philosophie qui guide Jean-Simon Chartier. On sent qu’il n’est pas d’accord avec tout ce qu’il montre. Comme cette jeune fille qui se présente à la clinique en demandant le fameux BBL. « Parce que c’est le look du moment ? Et qu’après je pourrai être une influenceuse sur Instagram », offre-t-elle en guise d’explication. « Comme documentariste et même dans la vie en général, j’ai plus de questions que de réponses. Ce sont les questions qui m’intéressent. Peut-être qu’un jour, je ferai un film à thèse. Mais ce n’est pas ce que je voulais faire ici », précise Jean-Simon Chartier.

Avec ce portrait complexe et captivant, qui fait une allusion bien placée à Guy Debord, le réalisateur voulait plutôt sonder l’idée de la représentation perpétuelle de soi. « Ce désir de vouloir être aimé. Reconnu. Ce que Dr. Miami fait, plein de gens le font également. En quelque sorte, lui… c’est nous aussi. »

They Call Me Dr. Miami sera présenté dans le cadre de Hot Docs at Home sur CBC, CBC Gem et le Documentary Channel le 14 mai. Il sera également disponible dès le 28 mai sur le site hotdocs.ca

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