Des oreilles aux écrans (1)

Une partie du Québec est toujours sous clé. Notre réserve de bonbons télévisuels regorge encore de belles trouvailles. Le Devoir vous propose cette fois une sélection de films et de séries qui ont la musique pour cœur pulsatile. Évidemment, ces dix œuvres choisies sont toutes accessibles depuis vos salons. Bonne immersion !
Le chant de la mer (Apple TV +)
Le cinéaste irlandais Tomm Moore, inspiré des mythes celtes qui ont bercé son enfance, a assemblé une série de tableaux d’une grande beauté pour donner corps à son sublime film d’animation Le chant de la mer. Ce récit initiatique, aussi délicat que magique, est au surplus porté par la musique envoûtante du compositeur Bruno Coulais, qui en a tiré une magnifique bande originale. En français, c’est la voix aérienne de Nolwenn Leroy, au grain inimitable, qui ponctue la quête de Ben et de Maïna, frère et sœur réfugiés en haut d’un phare avec leur père, veuf et solitaire. Quand leur quotidien sera bouleversé par l’irruption de créatures fantastiques, ils prendront la véritable mesure de leur destin enchanté.
Louise-Maude Rioux Soucy

What Happened, Miss Simone ? (Netflix)
Pour comprendre cette géante que fut Nina Simone, il faut sonder la profondeur de ses immenses racines, mais aussi plonger dans les noirceurs de cette icône du Black Power. C’est sur ce fil délicat que la réalisatrice Liz Garbus a conçu son What Happened, Miss Simone ?, un documentaire exigeant, traversé par la grande histoire à laquelle la « grande prêtresse du soul » a inspiré plusieurs lignes essentielles. C’est intelligent, nourri d’entrevues conduites à la baguette, mais aussi d’archives précieuses, musicales, bien sûr, mais aussi intimes, à travers lesquelles la chanteuse jazz, qui a souffert de bipolarité, expose crûment ses doutes et ses failles. C’est douloureux, grand, c’est surtout éminemment inspirant.
Louise-Maude Rioux Soucy
Glee (Netflix)
La comédie musicale adolescente qui a consacré Ryan Murphy comme créateur de télé prometteur a provoqué une petite révolution lors de sa première saison, en 2009. Sous ses dehors de feuilleton savonneux aux intrigues d’école secondaire américaine « typique » avec ses poncifs de meneuses de claques et de sportifs populaires, auxquels on oppose les « marginaux », les différents et les « anonymes », Glee a su brouiller les cartes pour offrir un portrait certes caricatural, mais chaleureux de jeunes différents que l’amour du chant réunit. En plus de susciter l’intérêt des adolescents pour les chorales, la série a remis au goût du jour des centaines de chansons populaires, dont plus de 200 ont repris le chemin des palmarès… Pas mal pour une production de « genre » qui s’est certes essoufflée au fil des six saisons, dont le charme des premiers efforts opère toujours.
Amélie Gaudreau
Peaky Blinders (Netflix et Unis)
Que vient faire cette série relatant l’ascension sociale d’une famille de malfrats dans le Birmingham de l’entre-deux-guerres sur cette liste ? Au-delà de l’admirable reconstitution d’époque, de ses personnages hauts en couleur et de l’interprétation tendue de Cillian Murphy en chef de gang, Peaky Blinders séduit par sa trame sonore résolument… anachronique. De fait, afin d’illustrer la dureté de l’époque et le tempérament intempestif des membres du clan Shelby, on y joue à fond la caisse des tubes de Nick Cave and the Bad Seeds, des White Stripes et de Radiohead. Dans la saison 3, on y rend même hommage à deux grands disparus : David Bowie et Leonard Cohen. Aussi judicieux qu’audacieux !
Manon Dumais

Behind the Candelabra (Cinépop et Crave)
Produit par HBO, lancé au Festival de Cannes en 2013, ce film de Steven Soderbergh met en scène avec une étonnante retenue l’univers clinquant du pianiste Liberace (1919-1987), plus célèbre pour ses tenues flamboyantes que pour son talent au clavier. Inspiré en partie des mémoires de Scott Thorson, Behind the Candelabra relate la tumultueuse relation que ce modeste chauffeur entretint durant six ans avec l’artiste, qui voulait être à la fois son frère, son père, son amant et son meilleur ami… sans pour autant afficher son homosexualité en public. Sous l’épais maquillage et les postiches de Liberace et de Thorson, Michael Douglas et Matt Damon jouent sans fausse note une partition exigeante.
Manon Dumais
Mozart in the Jungle (Amazon Prime)
La seule série sur la musique classique et son milieu, vus à travers le miroir de l’ascension du chef d’orchestre Rodrigo, a été sabordée par Amazon Video après quatre saisons malgré deux Golden Globes en 2016, dont celui du meilleur acteur pour Gael García Bernal, irrésistible clone mystique de Gustavo Dudamel. Un scénario habile, inspiré du livre de Blair Tindall, et une excellente distribution, avec Malcolm McDowell en chef vieillissant infatué et Bernadette Peters en directrice générale d’orchestre symphonique vous valent une première saison caustique, malgré quelques invraisemblances, une deuxième plus flottante dans sa volonté d’instiller une romance et des saisons 3 et 4 qui trouvent leur erre d’aller, intégrant de plus en plus habilement la musique dans la trame.
Christophe Huss
Unfaithfully Yours (Apple TV +)
Infidèlement vôtre (1948), écrit, produit et réalisé par Preston Sturges, n’est pas simplement une rareté ; c’est un pur joyau. Rex Harrison y joue le rôle d’un chef d’orchestre, Sir Alfred De Carter, qui, se croyant trompé par son épouse Daphne (Linda Darnell), imagine des scénarios pour la tuer en fonction de la musique qu’il dirige. Sémiramis de Rossini, Tannhäuser de Wagner et Francesca da Rimini de Tchaïkovski sont les substrats de ses fantasmes criminels. Sir Alfred opte pour Rossini, mais du plan à sa réalisation, le fossé égale celui qui sépare un chef d’orchestre d’un meurtrier aguerri. Le rythme est parfait, les dialogues aiguisés, la musique parfaitement intégrée, et Sturges réussit à transformer un sujet qui pourrait être scabreux en comédie de haut vol.
Christophe Huss

Dédé à travers les brumes (Illico)
Le 8 mai 2000, André Fortin, chanteur et leader des Colocs, se donnait la mort. Neuf ans plus tard, le réalisateur Jean-Philippe Duval (Matroni et moi, Unité 9) lui rendait un vibrant hommage avec Dédé à travers les brumes, où Sébastien Ricard se donne corps et âme à son personnage. De l’arrivée du fier Bleuet à Montréal jusqu’à l’enregistrement de Dehors novembre, en passant par la formation du groupe avec Patrick Esposito Di Napoli (bouleversant Dimitri Storoge) et la défaite référendaire, le biopic, ponctué des ludiques animations de Julien Demers-Arsenault, fait la part plus que belle aux inoubliables succès de ce groupe phare des années 1990. Festif et sombre.
Manon Dumais
Vernon Subutex (Topic.com)
L’adaptation des deux premiers romans de la trilogie de la série éponyme de Virginie Despentes n’a pas fait l’unanimité lors de sa sortie dans l’Hexagone le printemps dernier. Outre des critiques mitigées, cette comédie dramatique racontant les errances d’un ancien disquaire (Romain Duris) sans le sou qui trouve refuge chez ses copains de jadis, a été décriée par Despentes elle-même. L’écrivaine, d’abord de l’aventure télévisuelle, s’est dissociée de cette relecture expurgée de sa dimension politique et beaucoup moins sombre que l’original. La série, certes pas toujours convaincante, trouve son intérêt dans la mise en valeur de sa bande sonore aux accents nostalgiques des années 1970 à 1990 (Karen Dalton, Sonic Youth, les Ramones, Devo) qui donne le goût de fouiller dans ses vieilles cassettes.
Amélie Gaudreau
Meeting Venus (Apple TV +)
Après son absolu chef-d’œuvre Mephisto (1981), sur l’ascension de l’acteur Gustaf Gründgens sous le régime nazi, le réalisateur hongrois István Szabó s’est intéressé deux fois au milieu de la musique classique : avec Taking sides, le cas Furtwängler en 2001 et, dès 1991, avec La tentation de Vénus. Réunissant Niels Arestrup, en chef d’orchestre montant l’opéra Tannhäuser à Paris, et Glenn Close en diva et observant les coulisses de la préparation de cette représentation qui doit être retransmise à la télévision, Meeting Venus, 25 ans avant Mozart in the Jungle, déploie un cynisme encore plus cru. La part de l’humain et du musicien y est creusée de manière plus fine et plus exaltée sur fond de politique et de syndicalisme.
Christophe Huss