«Never Have I Ever»: mon amie Mindy

Devant la caméra, Maitreyi Ramakrishnan est d’un naturel désarmant.
Photo: Netflix Devant la caméra, Maitreyi Ramakrishnan est d’un naturel désarmant.

L’histoire de Maitreyi Ramakrishnan est de celles qui font croire, pour de vrai, que tout est possible. À 17 ans, elle voit passer une publication Instagram de Mindy Kaling. La productrice, actrice et scénariste, qui nous a donné le succès télévisé The Mindy Project, cherche une comédienne pour sa prochaine série.

Maitreyi n’a jamais joué devant une caméra. Jamais mis le pied sur un plateau. Mais elle a tenu un rôle dans la production scolaire de Footloose. Un peu à la blague, elle envoie sa candidature. Tout comme 14 999 autres personnes.

La suite se devine facilement : après quelques auditions, dont certaines à Los Angeles, la résidente de Mississauga, en banlieue de Toronto, obtient l’appel qu’espéraient également les 14 999 autres candidates : « Le rôle est à toi. »

« C’était teeeeeellement fou ! Vous savez comment certaines personnes capotent parce qu’elles vont à Disneyworld ? C’était mon Disneyworld », lance-t-elle avec enthousiasme au bout du fil. Énergique, spontanée, l’actrice parle d’ailleurs comme elle joue. Sans prétention, sans maniérisme, sans filtre.

Ces qualités pourraient aussi s’appliquer à la production en question, dans laquelle elle brille. Le titre ? Never Have I Ever. Une référence au jeu auquel ont joué tant d’ados dans le sous-sol de leurs parents : Je n’ai jamais. En français, la série s’intitule Les premières fois, ce qui semble plus approprié. Premières amours, premières peines, premières fêtes, premières trahisons.

Photo: Netflix «Never Have I Ever» fait ainsi siens les codes des drames pour ados tout en s’en moquant allègrement. 

Une meilleure personne

Avec ses airs de comédie du secondaire, l’ensemble creuse des thèmes profonds, telles l’identité, les racines. Canadienne d’origine tamoule, Maitreyi Ramakrishnan est fière des siennes. Son patronyme par exemple, elle souligne n’avoir jamais songé à le raccourcir comme d’autres l’ont fait en arrivant à L.A. Ainsi qu’elle l’a déclaré par le passé : « Si vous êtes capable de retenir les noms des personnages de Game of Thrones, vous êtes capables de prononcer un nom tamoul. »

L’ado au caractère bouillant qu’elle incarne est née, elle, de parents indiens venus s’installer en Amérique en septembre 2001. « Pas le meilleur moment pour un immigrant », remarque un narrateur omniscient, interprété par nul autre que l’ex-star de tennis John McEnroe, dont la voix évoque celle de Ron Howard dans Arrested Development — ou celle de Bernard Derome dans Série noire.

La mère est incarnée par Poorna Jagannathan, qui a joué l’avocate de Nicole « Celeste » Kidman dans Big Little Lies. Elle est aimante, mais sévère. Et très attachée aux traditions. Tout le contraire de son époux. Un homme amoureux de la culture californienne qui s’achète une moto pour faire comme Matthew « McConicky » et pour qui posséder une maison dans la Vallée représente le rêve suprême. « C’est comme dans 90210, bébé. »

Le premier épisode ? On hésite. Les personnages semblent caricaturaux. Les situations appuyées. Certaines blagues à la limite du bon goût. La paralysie momentanée de l’héroïne, utilisée comme gag, apparaît douteuse.

Le deuxième épisode vogue dans les mêmes eaux hésitantes. Mais, surprise, les huit suivants sont portés par une écriture rythmée, des situations sensibles et des protagonistes qui surpassent les clichés pour dévoiler leurs nuances.

 

Il est question de famille, d’homosexualité, d’amitié, de secrets. De l’idée d’être une copine merdique, et de tenter de s’améliorer. De l’éternelle quête visant à « devenir une meilleure personne ».

La nouvelle revanche des nerds

 

Devant la caméra, Maitreyi Ramakrishnan est d’un naturel désarmant. Et on s’attache à cette ado brillante, drôle, parfois colérique, égoïste et dramatique, qui compose avec un cocktail d’émotions et refuse d’accepter le décès de son père.

La comédienne novice s’est reconnue souvent dans cette fille possédant « une personnalité d’enfer, du talent en PowerPoint et des notes parfaites ». « J’ai toujours été une première de classe. À l’école, j’ai toujours fait partie de plein de clubs. »

Depuis que Maitreyi a été acceptée dans celui, très sélect, de Mindy Kaling, elle se sent privilégiée. « Mindy, c’est ma fée marraine. Elle dit à la blague qu’elle a auditionné des actrices du monde entier pour, au final, engager sa propre fille. »

Notons que la productrice, qui a toujours milité pour plus de diversité à l’écran, a également joué dans la série favorite de Maitreyi, The Office. (Les fidèles de ce feuilleton comique culte reconnaîtront d’ailleurs la madame-chat-Angela dans un petit rôle).

Certaines des meilleures scènes de Never Have I Ever se déroulent toutefois chez la psychologue, incarnée par Niecy Nash. Pour contourner les règlements stricts de sa mère, la jeune fille la prie, entre autres, de lui acheter des sous-vêtements sexy. « Je suis une adolescente ! Toute ma vie tourne autour des gars ! » hurle-t-elle.

La phrase peut sembler rétrograde, mais avec les intonations de Maitreyi, on comprend le second degré. D’ailleurs, bien qu’elle évolue dans un décor à la Degrassi, sa protagoniste parle crûment de sexualité — même si elle n’a jamais embrassé un garçon. « Elle sait ce qu’elle veut », résume son interprète.

Elle est également consciente — et fière — de sa grande intelligence. « Souvent, les nerds sont dépeints comme des gens silencieux, solitaires. Pas ici. Mon personnage dit : “Oui, je suis une bollée. Mais je suis surtout géniale”. »

Et rebelle aussi. Chose qui pousse son oncle, passionné de systèmes d’alarme, à l’enguirlander parce qu’elle est sortie faire du jogging (en réalité : elle s’est rendue à une fête) au milieu de la nuit. « Tu ne peux pas courir dans les rues de Los Angeles ! C’est la ville de Charles Manson et de Harvey Weinstein ! » « Ça va, répond-elle, frondeuse. La seule criminelle du quartier, c’est la dame qui a arrosé son gazon pendant la crise de la sécheresse. »

Never Have I Ever fait ainsi siens les codes des drames pour ados tout en s’en moquant allègrement. Riverdaleest nommé en contre-exemple. « Leurs parents les laissent prendre leur douche tous ensemble ? ! » s’étonne une cousine en visionnant quelques épisodes de ce plaisir coupable. « Oui, et les acteurs sont tous plus vieux que ma mère, rétorque l’héroïne. Bienvenue dans le monde des feuilletons savons américains. »

Portée par une distribution des plus diversifiées, la série sonde enfin l’opposition entre la tradition et la modernité. Ce que signifie être enfant d’immigrant. De se sentir « trop ci » avec ses amis ; « pas assez ça » avec les membres de sa famille. Comme le résume Maitreyi Ramakrishnan : « Se situer par rapport à sa culture, c’est une chose que l’on doit faire non seulement quand on a 15 ans, mais tout au long de sa vie. »

Les premières fois (Never Have I Ever en V.O.A.)

Netflix, dès lundi