«Bye bye 2019»: tous unis par la mycose des ongles

Plus aucun sujet ne fait consensus, dites-vous, au coeur de ce Québec déchiré par des enjeux graves comme la loi 21, les mesures à prendre collectivement afin de freiner les changements climatiques et le coton ouaté de Catherine Dorion ? Faux. Tous les Québécois et toutes les Québécoises sont unis par au moins une chose. Laquelle ? Tous les Québécois et toutes les Québécoises sont unis par le dégoût que leur inspire la tabarouette de publicité sur la mycose des ongles qui, à ce stade-ci, a probablement fait plus de ravages que la mycose des ongles elle-même.
Bravo à toute l’équipe du Bye bye d’avoir su identifier le seul sujet suscitant l’unanimité de Montréal à Kuujjuaq, et d’avoir amorcé son édition 2019 par une parodie de cette publicité ayant nourri tant de cauchemars. Claude Legault et la (presque) recrue Guylaine Tremblay annonçaient déjà dans cette courte vignette le rôle majeur qu’ils joueraient au cours de la soirée.
Membre de la distribution du Bye bye catastrophique (dit-on) de 1992, l’interprète de Marie Lamontagne et de Lison se distinguait à nouveau, dès les premières minutes de l’incontournable rendez-vous télévisuel, sous les bracelets nombreux d’une Caroline Néron gonflée de confiance, offrant les conseils les plus inconséquents à une série d’entrepreneurs crédules.
Mais cette cuvée de la revue comique pilotée pour une quatrième fois par le réalisateur Simon-Olivier Fecteau aura surtout été pour lui l’occasion d’un retour à ses racines absurdes, à commencer par cette très étrange (et très hilarante) scène durant laquelle des membres du lobby du lait réagissent convulsivement à la publication du nouveau Guide alimentaire canadien. Les Chick’n Swell n’en étaient pas les auteurs, mais ce délire n’aurait pas dépareillé l’émission culte que le défunt trio victoriavillois a présentée à Radio-Canada de 2001 à 2003. Le trio était alors formé de Francis Cloutier, de Daniel Grenier et de… Simon-Olivier Fecteau !
La dernière grande joie de 2019, pour les inconditionnels du groupe, appartient d’ailleurs à leur retour inespéré et inattendu, à la barre d’un tableau surréalistico-nono évoquant très librement les inondations de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, ainsi que quelques autres éléments de l’actualité des douze derniers mois (Occupoisson double !).
Conçu avec tout le luxe de moyens que permet le studio 42 de Radio-Canada, le presque plan-séquence reposait sur une série d’effets spéciaux créés en temps réel, typiques de l’esthétique broche à foin des Chick, même s’il était alors bien loin le temps où la bande tournait ses petits films avec une caméra offerte à Noël par la mère d’un de ses membres.
Le Bye bye 2019 en cinq points
Inégale distribution de moqueries
Le Bye bye est rarement, quoi qu’on en dise, le théâtre de la satire politique la plus caustique. Celui-ci aura néanmoins été notablement chiche en flèches décochées aux puissants. Un long segment sur le blackface de Justin Trudeau (interprété par le vétéran Patrice L’Écuyer) s’est tout particulièrement enlisé dans son désir de dédouaner toute blague pouvant être mal reçue, la recette parfaite pour une série de gags indécis.
Desjardins se trouvait a contrario très précisément dans la ligne de tir des auteurs, qui ont pris à partie pas moins de trois fois la caisse populaire et sa piètre gestion des données personnelles de ses membres.

C’est plutôt grâce à son équipe de comédiens composée de quatre recrues (Guylaine Tremblay, Anne-Élisabeth Bossé, Mehdi Bousaidan et Julie Le Breton) que ce Bye bye en dents de scie sera parvenu, par moments, à briller. Succéder à Marc Labrèche dans le rôle de ce juke-box humain qu’est devenue Céline Dion tenait de la mission kamikaze. Anne-Élisabeth Bossé s’en sort pourtant vivante, tout en pouvant revendiquer sa place au panthéon des grands imitateurs de la diva de Charlemagne, aux côtés du grand blond et de Joël Legendre.
La distribution de moqueries semble quant à elle, au final, assez inégale. Jean-Charles Lajoie est certes l’animateur d’émission de sport qui invite le plus à ce que quelqu’un le caricature (on l’entend comme un compliment), et la jouissive imitation qu’en a fait Claude Legault trahit des heures d’écoute de sa quotidienne. Mais le présentateur toujours très en verve, qui s’est installé à TVA Sports en 2018, compte-t-il réellement parmi les figures marquantes de 2019 ? Se pourrait-il que le Bye bye ait été pris au piège par sa volonté de creuser des terrains inexplorés, une ambition contraignant ses créateurs à fouiller les marges de notre actualité sociale et culturelle ?
On se demande bien, en tout cas, ce que le pauvre Michel Olivier Girard, l’acteur figurant dans les publicités de la chaîne de restauration rapide A & W, a fait pour mériter qu’on l’humilie à ce point. Et il est temps que l’on cesse de penser que d’ajouter des lettres à l’acronyme LGBTQ — LGBTQR2D2, vraiment ? — génère miraculeusement ce qu’il convient d’appeler une blague.
Nous avions appelé de nos prières son retour, et elles ont été exaucées. Le Monsieur Papaille de Claude Legault, ce vieillard attachant et ahuri qui avait volé la vedette l’an dernier malgré une très brève apparition, effectuait mardi soir une tout aussi brève apparition dans un sketch sur la pénurie de ressources au sein du système scolaire québécois. L’homme à l’élocution confuse et au regard pétillant incarnait l’état d’esprit de bien des Québécois en cette fin de 2019, quelque part entre l’hébétude d’avoir survécu à une autre année et l’espoir que le meilleur soit devant nous.
Infoman en coton ouaté
On est-tu ben juste en coton ouaté ? Jean-René Dufort pourra désormais répondre mieux que quiconque à cette inéluctable question, le superhéros de l’information ayant mis à l’épreuve les limites du décorum prévalant à l’Assemblée nationale, en se présentant devant son président François Paradis vêtu d’un complet entièrement taillé en gros coton mou.
Passé maître dans l’art d’aborder un sujet d’actualité usé à la corde sous un angle inédit, Infoman aura revisité 2019 en discutant changements climatiques avec la première ministre islandaise Katrín Jakobsdóttir, en s’entretenant avec la militante Jane Fonda et en rendant un subtil hommage au lanceur d’alerte Louis Robert, tout en menant ses traditionnelles entrevues-bilans avec nos élus.
Par-delà leur ton bon enfant, ces échanges auront encore une fois été révélateurs. Que Justin Trudeau ait exigé que l’animateur se présente devant lui avec une vraie cravate (pas une laide), en dit par exemple long sur la frayeur que provoquent maintenant les costumes au 24, promenade Sussex. La preuve que l’obéissance, pour le fou du roi astucieux, est parfois moins un compromis qu’une stratégie.