«His Dark Materials»: de l’excellent matériel à effets spéciaux

Papillon de nuit, hermine, corbeau, léopard des neiges. Ce sont ces espèces, une quarantaine, que Framestore a été chargée de recréer avec «His Dark Materials».
Photo: HBO Papillon de nuit, hermine, corbeau, léopard des neiges. Ce sont ces espèces, une quarantaine, que Framestore a été chargée de recréer avec «His Dark Materials».

« Spécialité : ours polaires. » Rarissimes sont les compagnies pouvant se targuer de posséder une telle qualité. Framestore le peut. C’est que la boîte d’effets spéciaux née à Londres en 1986, et ayant depuis fondé une division montréalaise, est connue pour ses créatures. C’est elle qui a donné vie aux animaux fantastiques du film du même titre de David Yates.

Elle qui a mis la patte aux compagnons, entre autres canins, du Dr. Dolittle de Robert Downey Jr. Qui a animé l’ami Paddington. Et qui, en 2008, a remporté l’Oscar pour The Golden Compass, une adaptation de l’univers littéraire de Philip Pullman, peuplé des ours polaires susmentionnés.

C’est d’ailleurs à l’oeuvre du même auteur que Framestore s’est attaquée dans la dernière année. Plus précisément, à l’ensemble de sa trilogie À la croisée des mondes, parue entre 1995 et 2000, pour la transformer, cette fois, en télésérie. Intitulée dans sa version originale His Dark Materials, cette superproduction fantastique de la BBC et de HBO est d’ores et déjà présentée comme « le prochain Game of Thrones » (GoT).

Sans costumes médiévaux, centaines de morts, ni relations incestueuses. Mais dotée de moyens immenses et de bestioles par dizaines.

 

Ceux qui connaissent les écrits, denses et mystérieux, du Britannique savent que les humains y sont accompagnés d’un « daemon ».

À ne pas confondre avec un démon. Celui avec un a, et sans accent, est un animal qui agit comme une manifestation de l’âme. Qui reste toujours aux côtés de son « maître ». Toujours. S’il s’en éloigne, la douleur ressentie par ce dernier est atroce.

On étudiait les poses. La mécanique des muscles. L’anatomie. Le langage du corps. Chaque animal bouge d’une façon très particulière.

Papillon de nuit, hermine, corbeau, entelle, léopard des neiges. Ce sont ces différentes espèces, une quarantaine en tout, que Framestore a été chargée de recréer.

Loïc Mireault était l’un des leaders de l’équipe de 48 animateurs montréalais ayant mis la main à la pâte. Amoureux des bêtes, il a grandi en prenant soin de chiens, d’une tortue, d’une souris, d’un hamster, de poissons. Aujourd’hui, il a deux chats. Dobby, en référence à Harry Potter, et Mushu, comme dans Mulan. « Sans blague, je les filme souvent pour étudier leurs réactions », lance-t-il. Les deux lui ont servi de modèles pour His Dark Materials.

Loïc Mireault s’est lui-même fait connaître avec une animation animalière. C’était en 2012. Il étudiait alors au Centre NAD (l’École des arts numériques, de l’animation et du design) dans la métropole. Et il a concocté, avec trois compagnons de classe, une vidéo devenue virale présentant un aigle attrapant un bébé (humain) sur le mont Royal. « C’était un bon début de carrière ! dit-il en s’esclaffant. Et même l’une des raisons pour lesquelles Framestore m’a recruté. »

Depuis six ans et demi qu’il travaille pour la boîte. Cette dernière mission ? « C’est définitivement notre exploit le plus ambitieux. Qui a nécessité un travail de création et de communication colossal entre les artistes et les différents départements. »

Car, on le sait, des effets spéciaux ratés peuvent tout faire péricliter. Vous aurez beau avoir la meilleure distribution, le monteur le plus compétent, les maquilleurs les plus visionnaires, si les animations sont bancales, rien ne sauvera la mise.

 

Rien de tel ici, alors que tout se révèle d’une impressionnante fluidité. Les mouvements coulent de source, les interactions avec les acteurs sont impeccables et réalistes. Peur, tristesse, espoir, colère. Les animaux traversent tous ces états avec la plus grande sensibilité et efficacité. L’émoi le plus difficile à traduire dans une créature animée, quel est-il ? « La compassion, répond Loïc Mireault d’emblée. Un lapin compatissant, je n’avais jamais vu ça. »

Le défi de son équipe aura été de montrer cette émotion. En la jumelant aux instincts animaliers, au comportement des animaux dans la nature. « Pour ne pas perdre en crédibilité. »

Pour s’assurer de la garder, cette crédibilité, ses collègues et lui ont passé des heures sur YouTube. À visionner des documentaires consacrés à chaque espèce qu’ils devaient recréer. « On étudiait les poses. La mécanique des muscles. L’anatomie. Le langage du corps. Chaque animal bouge d’une façon très particulière. Prenez une hermine. C’est nerveux, léger, ça respire rapidement. Il a fallu garder ces mouvements. Même dans les scènes où elle ressentait des émotions humaines. »

Sur le site de référence Rotten Tomatoes, la production affiche déjà une note solide de 92 %. Serait-ce vrai ? Un nouveau GoT serait-il arrivé ? De la même façon que la série inspirée par l’univers de George R.R. Martin « a marqué un tournant pour les effets spéciaux au petit écran, His Dark Materials en marquera un pour les personnages animés », remarque Chloe Grysole, directrice générale de Framestore et responsable de la division film (qui se différencie de celle qui se consacre à la réalité virtuelle). Voyez les chiffres : « Ce sont 400 personnes, à Montréal, qui ont travaillé pour construire les créatures, les préparer, les faire bouger », dit celle qui dirige une équipe composée à 50 % d’employés canadiens et, pour le reste, d’experts venus du monde entier. « Les écoles essaient de fournir, mais l’industrie grossit tellement vite ! »

His Dark Materials est une autre preuve de l’avancée phénoménale des effets spéciaux. Et du savoir-faire québécois. « On a atteint un autre niveau. » Pour l’atteindre, il a fallu, bien entendu, collaborer de près avec le réalisateur des premiers épisodes, l’oscarisé Tom Hooper. Le cinéaste ayant signé The King’s Speach plonge ici dans des intérieurs qu’il connaît : hôtels somptueux, chambres chics, draperies royales. Mais également dans des zones oniriques. « Ultimement, commente la directrice générale, notre but, c’était de traduire sa vision à l’écran. » Une vision marquée d’une ambiance souvent sombre, menaçante.

Le tout commence par une vague d’enlèvements d’enfants. L’héroïne de la série, une téméraire et brillante orpheline, se voit séparée de son meilleur ami. Et recueillie par une glaciale étrangère du nom de madame Coulter. Un personnage fort, impénétrable et inquiétant, qui affirmera par exemple à la petite ne pas aimer les hauteurs. « Je n’ai jamais pu me débarrasser de l’occasionnelle envie de sauter. » Frisson.

Abordant des thèmes aussi vastes et complexes que la religion, la confiance, l’appartenance, la série ne baigne pas dans la facilité. La direction photo, les jeux de lumière, les zeppelins qui survolent la ville, le générique imposant, les voyages entre Londres et un monde… disons différent. Les éléments sont en place pour une oeuvre qui en met plein la vue. Mais l’éternelle consigne « pas de divulgâcheurs » ayant été répétée jusqu’à plus soif, nous nous arrêtons ici dans notre énumération. Et nous terminons avec ces mots de Chloe Grysole : « C’était vraiment un travail venu du cœur. »

Qui risque fort d’atteindre celui d’un public en quête de productions gigantesques, faites de fantastique, d’aventure, et de qualité.

His Dark Materials

Crave et HBO, lundi, 21 h et Super Écran (en version française), mardi, 20 h.