«Streamers», une plongée dans la plateforme Twitch

« Voyez-moi comme une artiste de rue, sauf qu’il s’agit de jeux vidéo en ligne. » Voici comment la « streameuse » américaine Missesmae, qui compte sur la populaire plateforme Twitch quelque 113 000 abonnés, présente la tâche qu’elle accomplit presque quotidiennement.
L’intrigant phénomène virtuel et mondial des « diffuseurs », ces joueurs qui rassemblent autour de leurs performances en ligne des communautés plus ou moins larges d’internautes, est au coeur de la websérie documentaire Streamers, proposée par l’ONF et Arte et réalisée par Guillaume Braun.
Au coeur de ce grouillant univers parallèle, il y a la plateforme Twitch, qui fédère quelque 15 millions de visiteurs quotidiennement. Sur leur chaîne respective, les joueurs captent et diffusent en direct l’action des jeux vidéo avec lesquels ils s’amusent, en plus de se montrer eux-mêmes en train de jouer. S’ajoute à cette diffusion un chat, une chaîne de discussion, où toute la communauté du joueur en question peut s’exprimer, échanger, commenter le jeu ou même encourager le diffuseur — parfois même en argent.

« Un des grands mandats qu’on a, c’est d’amener dans la société des sujets mal exposés, mal compris, ou qui souffrent de préjugés. Et pour nous, c’était assez clair qu’on avait affaire à un vrai phénomène, raconte Louis-Richard Tremblay, producteur au Studio interactif à l’ONF. Il y a quelque chose qui se passe, c’est encore méconnu, mais ça change comment les gens se lient les uns aux autres. »
Streamers, qui se décline en quatre épisodes d’environ 12 minutes, a demandé quatre ans de travail au réalisateur Guillaume Braun, un designer aussi gamer, et à sa partenaire de recherche Marie-Ève Tremblay, spécialiste des mouvements sociaux à l’ère numérique et chroniqueuse à Radio-Canada.
La petite équipe a en fait pris le temps de prendre le pouls de la plateforme Twitch, de comprendre ses codes et d’en découvrir les acteurs. « Notre objectif c’était de le vivre de l’intérieur pour connaître leur réalité, raconte Braun. On a mobilisé la communauté, on l’a fait avec eux, et c’est eux qui ont permis de façonner un peu ce qui se dit dans le documentaire. »
Louis-Richard Tremblay compare d’ailleurs la démarche à celle d’un documentariste qui découvre un nouveau pays. « Ça prend du temps ! »

Les gens plus que le jeu
Streamers aborde au final très peu les jeux vidéo eux-mêmes, mais se concentre sur la réalité à la fois fabuleuse et désarçonnant des diffuseurs, qui attirent parfois plusieurs millions d’abonnés, chez qui ils prennent une place importante.
Pour rester populaires ou pour se créer des communautés, les streamers doivent jouer longtemps et souvent, et doivent aussi vivre avec certains abonnés corrosifs — particulièrement envers les femmes, comprend-on. Mais comme il y a moyen pour eux de monétiser leur présence — par des dons de simples membres ou par des commandites —, le jeu peut devenir un métier… et une prison.
Bref, au-delà du possible jugement, le phénomène reste complexe à analyser. Est-ce de l’isolement ou plutôt des liens jadis impossibles entre des gens de partout dans le monde ?
« On n’a pas la réponse à ça, c’est du cas par cas, estime Guillaume Braun. Mais ça semble répondre à un besoin d’appartenance et d’existence au niveau social. Ça nourrit un besoin de socialisation. »

La production ne met pas de côté les côtés plus sombres de Twitch, mais se concentre davantage sur les êtres humains diffuseurs. Ils sont en tout 14 streamers à apparaître dans le documentaire, certains de France, d’autres des États-Unis et même du Québec.
À ceux-ci s’ajoutent « deux autres personnages : la musique et les ponctuations graphiques, pour souligner les moments forts », explique le réalisateur. Streamers offre en effet une signature très dynamique, colorée, grouillante même, qui reprend l’allure de Twitch.
« Ça ressemble à un stream, admet Braun. On a même décidé de faire des entrevues avec le matériel des streamers, avec chacun sa texture de caméras, chacun une qualité différente », résume-t-il, comparant cette variété à celle qu’on retrouve sur les plateformes vidéo en ligne.
Streamers est disponible gratuitement dès mercredi sur la chaîne YouTube de l’ONF, et arrivera par la suite épisode par épisode sur Facebook. « Ça va en fin de compte se retrouver sur le site de l’ONF, sur notre chaîne Twitch, sur Arte en allemand et en français ; bref, c’est une approche multiplateforme, résume Louis-Richard Tremblay. On va le déposer à plein d’endroits où le sujet intéresse le monde. »
Twitch en chiffres
15 millions d’utilisateurs uniques quotidiens23 milliards de minutes visionnées par mois
Plus de 100 millions d’utilisateurs par mois
Plus de 2,2 millions de diffuseurs par mois