À l’écran, tout comme elles

Écartelées entre la mère aimante et l’amoureuse charmante, les femmes présentées à la télévision peinent encore trop souvent à sortir du carcan de la bienséance. Qu’à cela ne tienne, c’est toute une constellation féminine — peuplée de personnages bigarrés, de tous âges et de milieux contrastés — qui prendra d’assaut nos écrans cet hiver, tous réseaux confondus.
« Notre télévision est encore chargée de tabous quand vient le temps de parler des femmes », souligne Miryam Bouchard (L’échappée, Chroniques d’une mère indigne), qui signe avec justesse la réalisation de M’entends-tu ?, la nouvelle fiction de Télé-Québec (mercredi, 22 h, dès le 16 janvier). « Les détenues d’Unité 9 étaient déjà venues bousculer les conventions, mais il y a toujours des choses — comme la colère ou la détresse, par exemple — qu’on ne se permet pas beaucoup d’aborder de front, qu’on évite. Comme si les femmes ne pouvaient qu’être douces et sages. »
Campée dans les rues et ruelles d’un Montréal populaire, la comédie dramatique écrite par Florence Longpré (Like-moi) est toutefois aux antipodes, exposant sans filtre la colère et la misère au féminin. « Il ne faut pas avoir peur de dépeindre le dur et le laid, insiste la réalisatrice. Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir de doux et de lumineux, mais jouer avec les zones d’ombre nous permet de montrer aux femmes ce qu’elles sont, dans toute leur complexité. »

« Il y a quelque chose de très vrai à plonger dans la maladie ou la faiblesse des femmes », renchérit la scénariste Chantal Cadieux (Providence, Mémoires vives), dont les mots donneront vie cet hiver aux personnages d’Une autre histoire (Radio-Canada, lundi, 20 h). Résolument dramatique, cette nouveauté de Radio-Canada, mettant en vedette Marina Orsini, brossera les contours flous, mais ravageurs, d’un alzheimer précoce, explorant le poids du passé. La zone d’ombre ici ? Une maternité fracassée, avec tout ce que ça implique. « C’est important de montrer aux femmes une panoplie de personnages différents, insiste l’autrice — un titre trop souvent critiqué, qu’elle revendique d’ailleurs jusque dans le générique. Pendant trop longtemps, ces personnages ont été laissés au second plan, servaient à ouvrir la porte de certaines intrigues sans jamais les vivre pleinement. Il faut offrir à notre public féminin de quoi se reconnaître. »
Surtout, ajoute Miryam Bouchard, que les femmes comptent pour la grande majorité de ceux qui regardent les chaînes généralistes. « La télé est une fenêtre sur notre société, note la réalisatrice. Et il n’existe pas qu’un seul modèle féminin. C’est ce qu’on se doit de montrer, que l’on soit auteure [ou autrice], réalisatrice ou comédienne. »
Derrière l’écran
Loin de se limiter aux personnages, cette forte présence féminine transcende d’ailleurs les rôles, trouvant un écho — ou est-ce l’inverse ? — derrière l’écran. Ainsi, en plus d’être de plus en plus nombreuses aux commandes de la production, les femmes se retrouvent en nombre grandissant derrière la caméra à la réalisation et à la scénarisation, bon nombre des nouveautés télévisuelles ayant germé dans la tête de femmes inspirées.
Notre télévision est encore chargée de tabous quand vient le temps de parler des femmes [...] il y a toujours des choses — comme la colère ou la détresse, par exemple — qu’on ne se permet pas beaucoup d’aborder de front, qu’on évite. Comme si les femmes ne pouvaient qu’être douces et sages.
Une représentation accrue qui, sans nécessairement donner un ton différent à notre télévision, la fait peut-être éclater dans des directions jusqu’alors moins explorées. C’est le cas, entre autres, dans 5e rang (Radio-Canada, mardi, 21 h), un intrigant thriller familial qui prend racine sur les terres cultivées d’une ferme porcine, coécrit par les éternels complices Sylvie Lussier et Pierre Poirier (L’auberge du chien noir). « Cette série [qui met en vedette Maude Guérin] nous donne la possibilité, notamment, d’aborder la question du sexisme dans le milieu agricole, expose la scénariste. Mais est-ce que je le fais parce que je suis une femme ? Est-ce que le fait d’être une femme me permet d’offrir un contenu différent ? Je ne saurais dire… » Chose certaine, laisse-t-elle tomber, « on écrit toujours sur ce qu’on connaît, sur ce qui nous ressemble ».

« Il y a quelque chose qui bouge depuis quelques années, c’est sûr », reconnaît pour sa part Rafaële Germain, qui scénarise, pour une seconde saison, la série comique En tout cas diffusée à TVA (lundi, 19 h 30). « Ça se voit dans le nombre de femmes, mais aussi dans les thèmes qu’on se permet d’aborder. On ne fait pas juste des “shows de filles”. » « Il y a une force centrifuge depuis deux ou trois ans, assure à son tour Miryam Bouchard. Je ne sais pas si c’est parce qu’on [les femmes dans le milieu de la télé] vieillit, mais c’est comme si on avait envie d’être moins sages. On prend plus de place, on s’affirme davantage et ça se reflète dans ce qu’on montre à l’écran. C’est un peu, à mon avis, comme si on rentrait dans une ère féminine. Et ça, on ne peut qu’espérer que ça continue. »