«50/50»: parler d’égalité ensemble

On peut dire que Laurence Trépanier et Tanya Lapointe ont le sens du timing. « On n’aurait jamais pu imaginer que les choses prendraient une telle ampleur lorsqu’on a commencé à travailler sur notre documentaire il y a trois ans, lancent-elles d’une même voix. On savait qu’on voulait se pencher sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, mais pas que la recherche se ferait presque toute seule. On s’est vraiment laissé emporter par la vague. »
Jointes par téléphone à quelques jours du lancement de leur projet, dont les fruits seront bientôt disponibles en librairie et diffusés dans le cadre des Grands reportages le 5 décembre, juste avant d’être déposés sur la plateforme numérique du diffuseur public, les deux jeunes femmes en avaient long à dire sur ce qui les a poussées à s’attaquer à cette épineuse question. « Ç’a toujours été un sujet central dans nos discussions — qu’on parle d’économie, de politique, de famille… On revenait toujours au fait qu’être née femme change notre rapport au monde, raconte Tanya Lapointe, un sourire dans la voix. Mais la première fois qu’on a parlé sérieusement de 50/50, c’était en juillet 2015. »
Nous sommes alors moins d’un an après la déferlante numérique d’#AgressionNonDénoncée. La poussière entourant l’affaire Ghomeshi peine à retomber et le premier ministre canadien, Justin Trudeau, n’est qu’à quelques mois de prononcer son fameux « Parce qu’on est en 2015 », lancé un peu en boutade lors du dévoilement de son cabinet paritaire. « Il y avait déjà quelque chose dans l’air, se remémore la journaliste de formation. Quelque chose à saisir, de plus grand que nous ! »
Série d’histoires
La suite des choses leur aura finalement donné raison, comme en témoignent la vingtaine d’entrevues qu’on retrouve dans les oeuvres documentaires — le film et le livre — qu’elles présentent aujourd’hui au public. « Nous avons voulu donner la parole à des figures marquantes de cette quête d’égalité — on peut penser ici aux Pauline Marois et Françoise David de ce monde, par exemple —, mais aussi offrir une voix à celles qu’on entend peu ou qu’on n’entend pas du tout, souligne Laurence Trépanier. Il y a des voix fortes et rassembleuses qui n’ont pas toujours un espace pour exister. C’est là qu’on a voulu agir : ce sont leurs histoires, leurs réflexions et leurs prises de parole qui nous ont guidées tout au long de notre travail. » Issues de différents horizons — de la politique à la philosophie en passant par le travail social, le journalisme et la philanthropie —, leurs protagonistes nous livrent ainsi tour à tour leur vision de l’égalité dans le Québec actuel.
Après, il est certain que le format des Grands reportages — on parle ici d’à peine 52 minutes pour faire le tour de la question — a obligé les réalisatrices à faire des choix pour le documentaire. Ou, plutôt, à ne pas en faire, mais à rester en surface. « On s’est attaquées à un sujet complexe, qui peut prendre de multiples formes », concèdent-elles, en rappelant que le livre complète bien là où le film n’a pas pu approfondir. « On se voyait mal mettre un angle de côté. » Le résultat final est donc un peu décousu, mais il demeure un outil pédagogique fort intéressant, en particulier pour ceux qui entament tout juste leur réflexion sur la question. « On s’est toujours dit qu’on voulait créer des ponts entre les genres, mais aussi entre les générations, affirme Laurence Trépanier. On n’aura jamais trop de voix qui vont dans ce sens-là. »
On y parle donc de sexisme ordinaire, de congé parental, de charge mentale, de violence conjugale, d’intersectionnalité, d’équité salariale… Mais aussi de solidarité et de beaucoup d’espoir. « C’était important pour nous d’offrir des solutions et de mettre en lumière des initiatives lumineuses », soutiennent les deux complices, en citant comme exemple le cas de Time’s Up, né en marge de la bombe #MoiAussi et qui s’est imposé à la toute fin de leur processus. « On voulait, oui, faire un état des lieux, mais surtout réfléchir aux moyens qui peuvent être mis en oeuvre — ou qui le sont déjà — pour se rapprocher de l’égalité. On voulait ouvrir un dialogue positif et sain sur ces questions qui, la plupart du temps, nous divisent. »
D’où l’intérêt, estiment-elles, d’avoir donné la parole aux femmes, mais aussi à certains hommes qui, à leur sens, s’activent au quotidien pour rendre leur milieu de vie plus égalitaire. « On voulait montrer que la défense de l’égalité entre les sexes, c’est l’affaire de tous », souligne Tanya Lapointe, en ajoutant que tout le monde, qu’on soit homme ou femme, se porte mieux dans une société égalitaire. « C’est d’ailleurs en donnant la parole à un homme [l’animateur et journaliste Matthieu Dugal] qu’on a trouvé, selon moi, la meilleure définition du 50/50. C’est plus qu’une question de quotas ou de représentativité, c’est avant tout une question d’empathie. »
50/50: Réflexions et solutions pour atteindre l’égalité

50/50: Réflexions et solutions pour atteindre l’égalité
Tanya Lapointe, Éditions Cardinal, Montréal, 2018, 224 pages